Un peu comme dans les années qui ont précédé le krach de 1929, la décennie 90 a été folle, souvent incontrôlable. L’exubérance — aussi bien boursière que managériale — que nous avons connue dans ces années là ne pouvait pas durer. Comme prévu, dès le début du nouveau millénaire, ce fut l’explosion. La déflagration fut d’autant plus violente que la bulle internet éclata brutalement, sans préavis. Nous gardons tous en tête les scandales marquants de cette période noire : Enron, Andersen ou WorldCom. Nous avons également à l’esprit les effondrements boursiers qui s'en sont suivis. Tout a été de travers. Les dérives s’étaient multipliées à l'infini et il fallait regagner la confiance des investisseurs. Pour cela, on mit en place des réformes radicales dans la gouvernance des entreprises, dont la plus célèbre fut la loi Sarbanes-Oxley (appelée encore SOX). Elle impose en particulier à toute société côtée sur le marché américain de présenter au gendarme de Wall Street (la SEC - “Securities and Exchange Commission”) des comptes certifiés par son représentant légal. Devenus responsables pénalement, les dirigeants devinrent naturellement plus prudents. Tous les pays adoptèrent des règles plus ou moins similaires avec l’objectif de remettre de l’ordre dans l’économie mondiale. Pourtant les événements récents ont de nouveau plongé le monde dans le chaos le plus indescriptible. A la déroute des banques sont venues s’ajouter des affaires scabreuses, dont la dernière en date — le cas Madoff — restera sans doute l’une des plus grandes escroqueries de tous les temps. Face à cette situation — qui devrait nous réserver encore quelques surprises de taille — nous préconisons que les entreprises puissent se détacher des exigences court-termistes imposées par Wall Street. En courant constamment après la performance immédiate — trimestre après trimestre — les directions d’entreprises n’ont plus le temps de réfléchir et de choisir les bonnes options, sacrifiant souvent les projets de transformation les plus fondamentaux sur l’autel des coupes sombres de coûts, exigées par les actionnaires, eux-mêmes sous la pression continue des marchés. A peine un trimestre achevé qu’il faut en démarrer un autre. Le cycle est infernal et pour tout dire pas très sain. Le système de rémunération des dirigeants n’arrange pas les choses. La partie variable (payée sous forme de bonus, de primes ou de stock-options et indexée sur les résultats) les incite souvent à privilégier les résultats immédiats, avec les travers que nous imaginons. Certains penseront que ce sont là des réactions normales, le plan de rémunération ayant une influence sur les comportements. "Normales" n’est pourtant pas selon nous le terme le plus approprié. Disons plutôt qu’elles sont logiques puisque c’est là même le propre du système capitaliste. Le salaire doit être aligné sur la performance. Mais au fond de nous, une fois le recul nécessaire pris, nous savons bien que c’est exactement l’inverse de ce qu’il faudrait faire. De toute évidence, les entreprises ne peuvent pas se libérer de cette dictature sans aide. Plus personne ne se demande si notre système est le bon. On se contente de vivre avec. On veut tout reformer sauf l’essentiel. Lâchons du lest aux entreprises et les résultats suivront. Les gouvernements doivent reformer le système financier dans sa globalité. A commencer par les bourses. Il en va de l’intérêt de tous, actionnaires et salariés en premier lieu.