29 mars 2009

La rémunération des dirigeants


La présidente du MEDEF — Laurence Parisot — était l’invitée en fin de soirée du « Grand Jury RTL – Le Figaro-LCI ». Interrogée sur les questions relatives à la rémunération des dirigeants, elle a pu affirmer ses positions. Un peu plus tôt, François Bayrou s’était également exprimé sur ces sujets, poussant à la suppression des stock-options pour les dirigeants du CAC 40, tout en concédant l’intérêt d’un tel système pour les PME-PMI. Essayons d’analyser les points de vue, tout en donnant notre opinion.

1) L’Etat veut interdire les parachutes dorés et le versement de rémunérations excessives pour les entreprises ayant bénéficié de son soutien financier du fait de leurs difficultés économiques. La patronne des patrons a clairement soutenu cette position. Nous aussi. Nous allons même un peu plus loin en suggérant que ces principes s’appliquent à toute entreprise qui se trouverait dans le rouge ou qui serait contrainte d’engager un plan social. Il serait aberrant ou paradoxal — en particulier vis-à-vis des clients — de se trouver dans une situation inverse.
2) Faut-il pour autant légiférer ? Laurence Parisot pense que si l’intervention de l’Etat parait légitime, une loi ne pourrait en rien régler tous les cas de figures possibles. Elle n’a pas tout à fait tort ? Néanmoins, nous pensons qu’une loi ou un décret aurait au moins le mérite de poser des jalons.
3) Le code éthique défini par le Medef et l’Afep peut servir de garde-fou pour certains capitaines d’industrie hésitant sur la démarche à adopter dans certaines situations sensibles. C’est du moins ce que pense la chef de file du patronat français. Ce n’est pas faux. Nous allons dans son sens lorsqu’elle affirme que la plupart des patrons sont honnêtes. Beaucoup ont par exemple renoncé à leur bonus ou à de nouvelles attributions de stock-options d’eux-mêmes, parce que cela faisait sens. Il serait bon de ne pas faire des quelques dossiers récents et fortement médiatisés un cas général. Non, tous les patrons ne sont pas pourris ! Loin s’en faut, l’amalgame n’est pas acceptable. L’exemple des entreprises ayant mise en place des chartes d’entreprises — fixant très clairement les limites des règles de conduite dans les affaires — vient étayer la proposition de Laurence Parisot. En effet, dans la plupart des cas, elles ont été efficaces, suivies par l’ensemble des salariés qui s’y référent dans leurs actes quotidiens. Cela n’est cependant pas antinomique avec l’idée de faire voter une loi ou de faire passer un décret. Ce code de déontologie pourrait s’avérer insuffisant s’il n’était pas selon nous renforcé par l’existence d’une législation plus officielle.
4) Concernant les stock-options, elle affirme que ce système a le mérite « d'attirer, de conserver, de faire grandir les talents, de les motiver». Nous ne pouvons qu’être d’accord avec elle puisque c’est là-même l’objectif principal de ce mode de rémunération. C’est en premier lieu un outil de rétention des talents. Nous partageons néanmoins la réserve formulée par François Bayrou lorsqu’il affirme que la logique même des stock-options a tendance à pousser les dirigeants qui en bénéficient à agir dans le seul but de favoriser la valorisation boursière. Tout le monde est alors conditionné à aller dans une seule direction. Le système est pervers et dangereux sur le long terme. Certains projets — clés pour le futur de l’entreprise — peuvent être différés ou éliminés lorsqu’ils ne s’inscrivent pas dans un schéma de ROI court, parfaitement mesurable. Si les allocations de stock-options ont généralement des échéances longues (3, 4 ou 5 ans) — afin de bénéficier à plein de l’avantage fiscal qui y est attaché — leur valorisation est exclusivement liée à des critères financiers, et même plus précisément à la progression de l’action sur les marchés. Pourtant, il ne serait pas absurde de prendre en compte d’autres paramètres comme : la part des investissements réalisés par l’entreprise, les emplois créés sur plusieurs années, le pourcentage de formations offertes aux salariés ou les sommes consacrées à la Recherche et Développement. Il est bien sûr impossible à une firme de changer son système de façon unilatérale. Il doit être uniforme, au moins au niveau d’un pays, pour éviter des effets collatéraux, comme par exemple une fuite massive de capitaux. Nous sommes favorables à la distribution de plans de stock-options ou d’actions gratuites, en ce sens qu’ils permettent de créer un lien de solidarité entre ceux qui en reçoivent et la direction générale qui définit les axes stratégiques. C’est pourquoi nous pensons qu’il faut descendre le plus bas possible dans l’organigramme et motiver par ce biais un pourcentage élevé de la population totale. C’est sans aucun doute une condition essentielle de succès dans le futur.
5) Laurence Parisot a également rappelé avec justesse que les mandataires sociaux ne peuvent pas — en principe — cumuler ses responsabilités avec celles d’un contrat de travail, ce qui sur le plan du droit est parfaitement juste. Il existe certes quelques cas d’exceptions où le cumul peut être justifié et validé, mais cela devrait rester exceptionnel.

Terminons en rappelant que les dirigeants-fondateurs ou dirigeants-actionnaires prennent de très gros risques en engageant leurs propres capitaux et qu’il est normal qu’ils en retirent en contrepartie des avantages financiers conséquents (valorisation de leur investissement, dividendes, etc.…). Juste rémunération de leur prise de position.

22 mars 2009

Les MBA en question …

Alors que la crise est à son plus fort — du moins peut-on l’espérer — certains s’élèvent pour trouver des bouc-émissaires. Normal. La démarche est habituelle. Les financiers, les banquiers, certains hommes d’affaires, certains politiques même, sont mis au banc des accusés pour leur gestion hasardeuse, voire frauduleuse, on les accuse d’enrichissement personnel, de mélange des genres, alors même qu’eux ne faisaient aucune confusion. Ils jouaient avec le système en toute connaissance de cause, pensant au fond d’eux-mêmes que le monde était peuplé de crétins. Depuis peu, dans ce contexte tendu et incertain, certains commencent à pointer du doigt les formations. Les grandes écoles et universités sont les premières à être mis en doute. Les plus connues sont les plus chahutées : n’ont-elles pas formé des générations de leaders ? N’ont-elles pas préparé la plupart des dirigeants d’entreprises et des hommes d’état actuellement aux commandes ? Ce sont surtout les MBA (« Master of Business Administration ») qui sont visés. Après tout, ils ont vu le jour aux Etats-Unis, le tout puissant empire financier, le grand ordonnateur du monde des affaires, le régulateur des bonnes et des mauvaises pratiques, en un mot … la référence. Toutes ces promotions d’étudiants, bardés de diplômes, le MBA en poche, ne sont-ils pas aussi ceux qui ont creusé, ou laissé creuser, notre tombe. La réponse n’est sans doute pas aussi tranchée que ne l’est la question. Mais une chose est certaine, c’est un sujet qui mérite réflexion.
Les universités américaines — et pour certaines européennes — prônent des règles simples dont l’une ne souffre d’aucune discussion : il faut servir en premier lieu l’actionnaire. De ce fait, les étudiants MBA de la célèbre Harvard Business School concentrent leur attention sur quelques concepts : rentabilité, efficience, retour sur investissement, profit et valorisation de l’entreprise. Chaque trimestre, il faut délivrer les chiffres comme on dit (voir notre article dans ce blog dans la rubrique « La crise économique » : halte à la dictature de Wall Street !). Mais on oublie de leur enseigner d’autres valeurs, plus humanistes. On oublie de leur dire que la maximisation du profit n’est peut-être pas le seul objectif. Il faut se souvenir qu’un candidat au MBA de l’université de Harvard ou de Stanford doit faire de nombreux sacrifices. S’il n’est pas supporté par une entreprise, il doit généralement emprunter un montant très significatif, prendre des risques, se mettre en danger, dans le seul objectif de détenir le sésame, le parchemin sacré. C’est cela même que valorisent les entreprises. Ce goût du risque et de l’aventure, plus que le contenu même de l’apprentissage. Et c’est bien dommage. Je crois que l’éducation à la française, si souvent décriée par certains, a de nombreuses vertus. Le contenu est fort. Les grandes écoles de management et les universités disposent d’un corps enseignant réputé, d’un contenu pédagogique et académique éprouvé, mais aussi d’un équilibre dans ce qui est enseigné. Sciences Po dans sa spécificité, HEC Paris ou d’autres grandes écoles, certaines universités — les IAE, Dauphine, la Sorbonne — sont des références que l’on devrait nous envier. Commençons nous-mêmes par en prendre conscience au lieu de chercher à copier le modèle américain qui vient de montrer ses limites et ses faiblesses. Certes nous devons poursuivre l’adaptation de notre système éducatif, nous devons veiller à laisser à chacun sa chance, nous devons nous intégrer dans la course mondiale, mais avec nos propres valeurs et notre différence. C’est ainsi que nous avons toujours gagné !

15 mars 2009

Pour en finir avec la pauvreté !

Alors que je m’apprête à aborder une série d’articles sur ce que pourrait être le monde économique de demain, un nouvel ordre mondial pour l’humanité, il m’est apparu important de présenter l’un des ouvrages de Muhammad Yunus, Prix Nobel de la Paix. Ce dernier — né au Bangladesh en 1940 — est docteur en économie et fondateur de la Grameen Bank (ou Banque du Village). Il est surnommé le “banquier des pauvres”.
Il a su imposé au fil du temps le microcrédit dans le monde entier. Dans son livre “Vers un nouveau capitalisme”, publié en 2008 aux Éditions Jean-Claude Lattès pour la traduction française, il aborde la notion de “social-business” qui pourrait selon lui profondément renouveler le modèle économique classique que nous connaissons aujourd’hui. Il ne prétend pas du reste qu’il puisse se substituer au capitalisme, mais qu’il serait bienvenu qu’il puisse à tout le moins coexister. Quels sont donc les principes fondamentaux du “social-business” :

· Une entreprise qui gagne de l’argent mais qui ne cherche pas la maximisation du profit ;
· Une entreprise qui consacre la majeure partie de ses bénéfices à la production d’avantages sociaux ;
· Une entreprise qui ne rémunère pas ses actionnaires.

Selon le Pr Yunus, le “social-business” ouvre la voie à un modèle économique plus juste et plus humain.
Une réaction des Etats, mais aussi de chaque citoyen du monde, s’avère de toute façon nécessaire lorsque l’on songe que 60% de la population mondiale doit se contenter de 6% du revenu mondial et que la moitié des humains doit vivre avec moins de 2 dollars par jour ! Il y a pire en fait : plus d’un milliard de personnes vivent avec moins de 1 dollar par jour … un véritable drame sous nos yeux. Ou plutôt loin de nos yeux. Cette situation de pauvreté extrême s’est propagée en divers endroits de la planète, au point de menacer les équilibres et la paix. Cette dernière est en effet fortement menacée par l’injustice économique, sociale et politique. La répartition des richesses est inégale, nous le savons depuis longtemps. Mais là, il ne s’agit plus de cela, mais de lutter pour éviter que des continents entiers ne disparaissent faute de disposer d’un peu de ressources. Il faut savoir que dans certains pays, quelques dollars suffisent à lancer une activité lucrative, suffisante pour faire vivre une famille, parfois plusieurs. Mais l’inégalité dans ce monde est forte. Elle contribue à créer le chaos, le désordre. L’absence de démocratie dans certaines zones, l’inexistence de liberté d’expression, la privation de droits pour certaines communautés sous-représentées, la violence envers les femmes, l’exploitation des enfants mineurs, la dégradation sauvage de l’environnement ou l’absence de droits de l’homme, sont quelques uns des maux dont nous souffrons.

Il faut réagir. La Grameen Bank accorde des prêts sans garantie pour les activités génératrices de revenus, des prêts au logement, des prêts pour financer les études de jeunes gens démunis, des bourses pour les plus talentueux, et des prêts destinés au lancement de micro-entreprises.

L’objectif est clairement annoncé : mettre la pauvreté au musée ! Une ambition irréaliste diront certains, irresponsables penseront d’autres, manipulatrice avanceront même les plus sceptiques ou les plus critiques. Certes, mais une chose est certaine, ce livre amène la réflexion sur un problème qui nous concerne tous puisque par ricochet il peut entraîner des conséquences dramatiques aux quatre coins du globe. Et c’est déjà d’en prendre conscience …

08 mars 2009

Walras : l’un des grands fondateurs de la pensée néoclassique


Comprendre la crise actuelle nous oblige à revenir sur la pensée de quelques grands économistes. Après avoir présenté la biographie de Keynes, voici celle d’un autre grand nom de l’économie : Léon Walras. Leurs analyses, leurs développements, leurs théories sont radicalement opposées, mais pour permettre un débat équilibré dans les semaines à venir, nous devons présenter les approches de tous les courants. Walras est indiscutablement l’un des pionniers de la théorie néoclassique. Keynes ne l’a pas épargné. Malheureusement Walras n’aura pas eu le loisir de débattre avec lui …

Léon Walras (1834-1910)

Biographie (source : Alternatives Economiques - Pratique n°21 - Novembre 2005)
Fils de l’économiste Auguste Walras, Léon Walras est connu comme le principal fondateur de l’approche économique néoclassique. En fait, il a été aussi critique vis-à-vis du libéralisme orthodoxe des économistes français que du socialisme de Marx et de Proudhon. Mais il existe un autre Walras, aux idées socialistes.
Très impliqué dans le mouvement coopératif à partir de 1860, il est invité en 1870 par le gouvernement suisse à enseigner à l’Académie de Lausanne, ville où il peut se consacrer à ses écrits théoriques. Il y rencontre Enrico Barone et Vilfredo Pareto.

Sa pensée
Son ambition était de montrer que l’économie pouvait être une science « pure », c’est-à-dire susceptible d’analyse indépendante des préférences idéologiques de l’analyste. C’est la raison pour laquelle Walras a choisi d’exprimer cette analyse en termes mathématiques (algébriques en fait), tout comme s’il s’était agi d’analyser un problème de physique ou de logique formelle. Il met en scène un ensemble d’individus tantôt producteurs, tantôt utilisateurs ou consommateurs d’un ensemble de biens et de services. Il montre, par un système d’équations, qu’il existe un système unique de prix pour lequel chacune des offres et des demandes qui résultent des comportements des producteurs et des consommateurs est équilibrée : l’équilibre général sur l’ensemble des marchés est donc atteint lorsque ce système de prix est en œuvre.
Mais la démonstration de l’existence d’un équilibre général, pour peu qu’on laisse les prix fluctuer librement, dépendait d’une hypothèse cruciale : tant que les prix d’équilibre ne sont pas trouvés (prix pour lequel offre et demande coïncident), aucun échange ne doit avoir lieu. Ce qui impose, ont fait remarquer les critiques de Walras, un système entièrement centralisé, avec un « commissaire-priseur » bloquant toutes les transactions tant que le marché n’est pas parvenu au prix d’équilibre pour chaque bien ou service. Hypothèse non seulement irréaliste, mais gênante, puisqu’elle aboutissait à suggérer que l’équilibre général pouvait être organisé par un planificateur aussi bien que par un marché. Toutefois, en montrant la possibilité d’un équilibre général issu du fonctionnement de marchés parfaits et dont les prix reflètent l’utilité marginale des acteurs, Walras a jeté les bases de l’analyse orthodoxe… alors même qu’il se réclamait du socialisme.

Ses écrits
Œuvres diverses, éd. Economica, 2000.
Les œuvres économiques complètes d’Auguste (le père) et de Léon Walras sont en cours de publication aux éditions Economica (les volumes V à XIII consacrés à Léon sont tous publiés). Les Eléments d’économie politique pure constituent le tome VIII, les Etudes d’économie sociale pure le tome IX et les Etudes d’économie politique appliquée le tome X.
« De la propriété intellectuelle » (1859), Journal des économistes.
L’économie politique et la justice (1860), éd. Economica, 2001.
« Théorie de la propriété » (1896), Revue socialiste.
« Le problème fiscal » (1896), Revue socialiste.
« Théorie du libre-échange » (1897), Revue d’économie politique.
« Théorie du crédit » (1898), Revue d’économie politique.

Pour aller plus loin
La société n’est pas un pique-nique, Léon Walras et l’économie sociale, Pierre Dockès, éd. Economica, 1996.
« Le socialisme singulier de Léon Walras », Alternatives Economiques n° 193, juin 2001.
« Léon Walras, fondateur de l’économie néoclassique », Alternatives Economiques n° 213, avril 2003.

01 mars 2009

Le capitalisme

Avec l’avènement de la crise, tout le monde n’a qu’un mot à la bouche : capitalisme. Il est rapidement devenu le bouc-émissaire de tous nos maux. Mais sait-on vraiment au fond ce qu’il recouvre exactement ?
Son étymologie vient du latin “capitalis” de “caput” (la tête), ce qui représente les animaux d’un cheptel. Economiquement le terme apparaît au 16ième siècle. C’est avant toute chose un système économique et social, dont la caractéristique essentielle est la propriété privée des moyens de production (notion d’entreprise privée). Fondé sur la liberté des échanges (libéralisme), ses mobiles sont l’accumulation du capital et la recherche de profit — juste contrepartie de l’investissement réalisé (capital) et des risques encourus.
Dans la réalité, le capitalisme peut prendre différents visages. Il existe de nombreuses variantes. Il n’exclut en aucune façon un certain interventionnisme d’état. Certaines fonctions — comme la police, les hôpitaux ou les écoles — ne peuvent en effet être gérées par le capital privé et nécessitent des intérêts publics.
Dans notre subconscient, nous associons souvent les mots “capitalisme” et “spéculation”. Cette dernière a largement contribué à généraliser un certain nombre d’idées préconçues, souvent fausses et presque toujours dangereuses. Le “capitalisme” est avant tout le fait d’hommes et de femmes dont l’esprit d’entreprise les amène naturellement à parier sur l’avenir. Ils le font généralement en poussant de nouveaux concepts, en innovant et en créant de la valeur.
Ceux qui veulent sa mise à mort ont certes des raisons. Ses débordements et excès ont conduit l’économie au bord du gouffre. Pour les Marxistes — nous y reviendrons ultérieurement — le capitalisme s’identifie avant toute autre chose à une forme d’exploitation des travailleurs par les propriétaires (les patrons).
Certes le système libéral n’est sans doute pas la panacée. Mais a-t-on seulement réfléchi par quoi le remplacer ? Quel modèle ou système économique peut assurer, et même garantir, la survie de l’humanité, sans chaos, sans guerre, dans un climat serein ? Si l’on en croit les statistiques, à l’horizon de 2050, nous devrions être 15 milliards d’individus à partager les ressources de notre chère planète terre ! De quoi se poser quelques questions ?