20 avril 2013

Le doute

En parcourant la presse ce matin, je tombe sur un article des Echos qui reprend un sujet qui fait tâche d'huile ses derniers jours dans la presse mondiale, à savoir la découverte par Thomas Herndon, étudiant à l'université du Massachussetts, d'erreurs commises par les deux économistes, Kenneth Rogoff et Carmen Reinhart, dans leurs calculs lors de la publication d'une étude en 2010. L'économie est l'un de mes sujets préférés, alors mon regard détecte assez rapidement ce type de sujet. 


Au premier abord, on se dit alors qu'il n'y a pas là de quoi fouetter un chat. Et pourtant, la tempête médiatique qui s'en est suivie est pour le coup justifiée. En effet, Rogoff et Reinhart concluaient, sur la base de leurs analyses économétriques, que "la croissance économique d'une nation ralentit massivement quand sa dette dépasse le seuil de 90% du PIB". 

Où est le problème ? Il vient du fait que cette déclaration est fausse et que c'est pourtant sur cette base que Paul Ryan aux USA et qu'Olli Rehn, commissaire européen aux Affaires économiques" ont respectivement poussé les pays en difficulté à tailler dans leurs dépenses. Effectivement, Herndon a montré qu'ils ont tout simplement oublié des pays, aboutissant à des biais et par là-même rendant leurs conclusions infondées !!! 

Il est surprenant de voir que l'on peut établir une stratégie, une démarche, un programme sur des données, des conclusions qui se révèlent fausses au final ! 

Il est surprenant de voir que l'on peut entraîner des masses dans une direction en découvrant après coup que la prémisse était fausse. 

Dans une société qui a définitivement versé dans l'information, dans un monde où les données doublent tous les dix-huit mois, cela peut paraître surprenant, d'autant plus que les chercheurs sont dotés de nos jours de moyens informatiques et statistiques qui devraient leur permettre d'éviter ce genre de déconvenues. 

Mais peut-on parer ce genre de problèmes ? N'est-on pas au fond confrontés, sans en prendre réellement conscience, à une obligation de publication, à la nécessité de produire vite, quitte à faire dans l'approximatif. N'est-ce-pas le résultat d'une évolution inéluctable de notre société ? Chacun se fera une idée mais cet article m'a amené à quelques réflexions ... 

Alors que les technologies de l'information permettent aujourd'hui de tout contrôler, par des croisements d'informations, par des recoupements massifs, permettant de mettre au grand jour les pires contradictions, nous devrions voir les tricheries, ou les approximations diminuer. Or c'est l'inverse qui se produit. Sans généraliser, bien entendu, nous n'avons jamais autant douté !

On doute de tout. Et au fond il y a de quoi ... les scandales politiques et/ou religieux se multiplient, certains étant à la limite du grotesque, la généralisation des communications instantanées, des tweets ou des blogs (j'en fait partie !) permet à n'importe qui de publier quelque chose sur n'importe quoi. On ne prend même plus le temps de vérifier si le déclarant a une quelconque expertise sur le sujet. Ce n'est du reste pas fondamentalement grave car lorsque l'on découvrira qu'il ne l'avait pas, cela donnera lieu à une nouvelle polémique, de nouveaux tweets etc. 

Nous sommes à un moment de notre histoire où le fait de communiquer est plus important que le contenu communiqué lui-même. On ne sait plus mettre de hiérarchie dans les malheurs du monde. Un ministre qui ment est massacré sur le plan médiatique ... certes c'est grave mais bon la terre va continuer de tourner. C'est surtout ennuyeux pour lui. On mettra sur le même plan le mensonge d'un homme de foi avec une guerre dans un pays africain. On ne sait plus doser. On ne sait plus relativiser. Les émissions se succèdent avec un seul objectif, faire du buzz

Et ça marche puisque nous ne faisons qu'une chose pendant des jours entiers, parfois de semaines : parler d'un sujet futile en lui donnant une importance considérable !

Au fond, plus nous avançons, plus nous mettons en doute ce que nous voyons. Tout le monde finit par se demander si tel attentat est vraiment un attentat ... si ceux qui ont été arrêtés et tués étaient bien les coupables ... si un mensonge d'état de seconde zone n'en cache pas un autre bien plus important ... si la libération d'otages ne cache pas en fait le paiement d'une rançon alors même que le chef d'état s'est clairement positionné sur la question. 

Nous avons peu à peu généré notre problème. Nous doutons de tout. Nous avons le sentiment que nous sommes en permanence manipulés. Nous avons le sentiment que l'on se moque de nous. 

On se jette sur les nouvelles du jour, outrés ou confortés dans nos positions, pour découvrir le lendemain que tout était faux, tant et si bien que les heureux d'un jour font les malheureux du lendemain et inversement ! Un peu fou non ? 

Voilà donc un bon sujet de thèse : la maitrise technologique de l'information crée-t-elle de la certitude ou du doute ?