27 avril 2013

Le véritable holdup de la finance ...

En France, nous nous targuons de "fabriquer" une élite intellectuelle. D'un certain point de vue, je partage cet avis. La France a depuis toujours su se distinguer sur ce plan. Les "lumières" émanent de la France depuis toujours, inspirant les plus grands mouvements d'idées et de société. Cela s'est sans doute accéléré sous la révolution française, sans jamais être démenti au cours des décennies suivantes. Normale Sup., Polytechnique, Mines Paris, HEC Paris, Sciences Po Paris ou l'ENA sont des références en France mais aussi dans le monde entier. La recherche mondiale vient nous prendre nos meilleurs talents qui s'installent depuis longtemps dans la Silicon Valley ou en Israël, et depuis moins longtemps, en Chine, en Inde ou en Australie. Les conseils d'administration des grandes firmes internationales viennent aussi chercher nos diplômés business sur les bancs d'HEC ou d'une autre "business school". C'est une reconnaissance universelle. Ma réserve initiale vient du fait que notre système de sélection est concentré sur une forme d'intelligence, le QI pour faire court, alors même qu'il en existe de multiples. Nous devrions nous inspirer de ce qui est fait dans d'autres pays pour enrichir nos cursus et donner à nos étudiants une ouverture plus grande. 

Mais revenons à notre propos. La France n'est en rien spécifique à cet égard. Les formations d'élite existent partout en Europe ou dans le Monde, et la problématique est donc la même ailleurs.  

Depuis toujours, nos élites sont tentées par la politique. La raison est simple, c'est l'un des moyens le plus sûr de marquer son passage terrestre, de rentrer dans l'histoire. François Mitterand aura aboli la peine de mort et permis l'avénement de l'Europe, et que l'on soit pour ou contre, François Hollande aura légalisé le mariage entre personnes de même sexe. 

De la fin de la seconde guerre mondiale à la fin des années 80, nos élites se sont ainsi massivement orientées vers l'inspection des finances (ou fonctions équivalentes), puis vers la politique, briguant des mandats électifs, visant un poste de ministre, voire un des postes suprêmes, celui de Premier Ministre, de Président de l'Assemblée Nationale ou du Sénat ou bien sûr de Président de la République. 

En classant mes papiers comme je le fais régulièrement, je suis tombé il y a quelques jours sur cette déclaration de Jacques Chirac à l'endroit d'Alain Juppé le qualifiant de "meilleur d'entre nous". Il est vrai que la lecture du CV de l'ancien premier ministre peut donner le cafard à beaucoup de gens. L'homme est à proprement parler une "élite". Il est de plus devenu avec les années l'une des valeurs sûres de la République. A droite bien sûr, mais à gauche aussi, il est reconnu. 

Mais mon propos n'est pas ici de discuter de la nécessité de disposer d'une élite ou pas, ni même de comparer nos élites à celles des autres pays. Il est davantage de faire un constat. Depuis la fin des années 80, peut-on affirmer que nos élites se dirigent bien vers la classe politique ? 

Rien n'est moins sûr. Il est même fortement probable que non. Le monde de la finance est venu là encore bouleverser la donne. Non content d'imposer ses vues, obligeant les entreprises à des disciplines draconiennes, il a peu à peu attiré les meilleurs talents. Il est vrai qu'avec la révolution numérique, de l'internet, les "meilleurs d'entre nous" se sont un peu détournés ... de la politique ... pour se diriger vers l'entreprise, et parfois ont même créé des entreprises. Il y a aussi plus d'argent à gagner. Cela a été à n'en pas douter un critère de choix. 

Je n'ai pas la réponse. A chacun de se faire une opinion. Mais au final, au sein des partis, il y a sans doute moins de talents en 2013 qu'il n'y en avait en 1963 ou en 1981. 

Pour réussir en politique, il faut une alchimie entre plusieurs éléments qui sont au bout du compte difficiles à réunir : des valeurs humaines éprouvées, du courage, de la culture, une intelligence pure, un leadership et un charisme avérés, une facilité à communiquer, des convictions politiques et une capacité à agir. 

Alors n'assistons-nous pas, sans en avoir eu toujours conscience, depuis plus de vingt ans au holdup organisé par la finance et le secteur privé du capital humain étatique des grandes démocraties occidentales ? 

Cela ne veut pas dire inversement qu'il n'y a plus de talents en politique. Il y en a plein. Mais sans doute moins qu'avant. On doit donc choisir dans un panel moins large ce qui tend à affaiblir le niveau avec le temps. Les élites modernes vont indéniablement vers la finance ou vers d'autres cieux. Un normalien qui se laisse tenter par le métier de "trader", rien de péjoratif dans cette assertion, c'est un peu dommage non ?

Nos élites devraient aller en priorité vers la recherche (médicale, technologique, fondamentale, etc.) et la vie politique. La recherche, c'est l'innovation et donc plus d'emploi à terme. La politique, c'est la bonne santé des nations, de la croissance et donc plus d'emploi à terme. Les enjeux au final sont les mêmes.

Dans l'hypothèse où mon intuition viendrait à se révéler juste, il serait alors nécessaire de redorer le blason de la politique pour être certain demain d'attirer les "meilleurs d'entre nous" et leur confier alors les manettes du monde en toute quiétude. Aujourd'hui, on se méfie du patrimoine des politiques alors même que c'est ce qu'ils font ou ne font pas qui est important ! On devrait au contraire les payer davantage ! Après tout, pourquoi ne pas attribuer un salaire élevé au ministre du budget par exemple sous condition qu'il évite à la France la banqueroute ! Il faudrait lui assigner des objectifs de résultats et le payer en conséquence ... 

Ce serait là notre intérêt non ?