21 février 2009

Il faut une relance par la consommation !

Les néo-classiques — de tendance libérale — n’ont eu de cesse de démontrer de façon scientifique que l’économie de marché était le système économique le plus efficace. Ils affirment ainsi l’existence d’un équilibre général qui assure — sous réserve que les marchés soient parfaitement concurrentiels — une allocation optimale des ressources. En cas de choc ou de dysfonctionnement, Walras[1] imagine le mécanisme du tâtonnement qui ramène immanquablement les marchés vers l’équilibre. Or ce monde merveilleux n’existe pas. Les hypothèses qui sont avancées n’ont aucune chance d’être réunies. L’introduction du facteur temps a fait voler en éclats ce modèle virtuel. Hayek[2] a même démontré que l’imperfection de l’information dans l’économie réelle disqualifiait la théorie walrasienne de l’équilibre général. La réalité est que les ajustements par les prix et les salaires — prônés par les économistes libéraux — n’ont aucune chance d’entraîner la stabilisation. Ils peuvent au mieux apporter aux actionnaires — sur le court terme — des profits additionnels sur le dos des salariés et des consommateurs par une baisse du pouvoir d’achat. En cas de crise — celle que nous connaissons actuellement est la plus violente que le monde occidental ait jamais connu — les entreprises commencent par baisser la production et l’emploi, pas les prix. Ils baissent aussi les salaires, ils les ajustent. Le déséquilibre observé sur les marchés de biens et de services va alors progressivement se déplacer vers celui de l’emploi. Il en résulte bien sûr une baisse de la consommation puisque le pouvoir d’achat des ménages baisse. Les profits des entreprises sont impactés. Elles ne peuvent plus investir. Elles licencient de nouveau. Et c’est un cercle vicieux infernal. Seul l’état peut par le biais d'une politique de relance par la consommation venir en aide aux entreprises et ainsi permettre une sortie de crise plus ou moins rapide. Certes le système bancaire s’est montré défaillant — nous y reviendrons plus tard — mais c’est bien l’économie réelle qui est touchée. La consommation baisse, mais aussi la production industrielle et le commerce international. D’ailleurs l’INSEE a publié le 15 février dernier de nouvelles statistiques économiques dont celle du PIB qui aurait reculé de 1,2% en volume au 4ième trimestre 2008. Si elle peut avoir du bon, nous ne croyons pas qu’une relance par l’investissement et/ou par l’incitation monétaire soit suffisante. Cela prend du temps et les effets risques d’être longs à venir. Rien ne vaut que de redonner du pouvoir d’achat aux français et de les inciter à dépenser. Pour cela il faut qu’ils reprennent confiance … Keynes est toujours d’actualité, comme nous le disions …

[1] Léon Walras (1834-1910) était un économiste français de tendance néo-classique.[2] Friedrich Hayek (1899-1992) était un philosophe et économiste de l’école autrichienne, de tendance libérale, opposé au socialisme et à toute forme d’incursion étatiste.

18 février 2009

Keynes est plus que jamais d'actualité !

A l’heure où nous essayons tous de comprendre la crise économique qui nous frappe, il est bon de nous replonger dans l’œuvre de quelques grands noms de la pensée économique. Dans la série de textes que nous allons proposer dans les semaines à venir, nous aurons l’occasion de revenir sur le travail de Keynes qui a marqué son temps et proposé un modèle qui loin d’être périmé s’avère en réalité tout à fait d’actualité.
Nous verrons pourquoi …
John Maynard Keynes (1883-1946)
Biographie (source : Alternatives Économiques - Pratique n°21 - Novembre 2005)John Maynard Keynes, qui a révolutionné l’économie, au point que ses différents courants se définissent aujourd’hui par rapport à sa pensée, est un pur produit de Cambridge. Il a fréquenté l’élite intellectuelle de cette ville universitaire dès son plus jeune âge. Passionné par la politique, il a pris position sur les dossiers chauds de son temps, notamment en tant que journaliste, mais aussi en tant qu’acteur de la vie économique et politique. Il quitte momentanément l’enseignement à Cambridge pour travailler au Trésor britannique qu’il représente à la conférence de la Paix à Versailles. Formellement opposé aux réparations de guerre que le traité de 1919 impose aux Allemands, il les dénonce dans son pamphlet Les conséquences économiques de la paix (1919). Il démissionne alors du Trésor britannique et revient à Cambridge.
C’est dans le contexte de la crise économique des années 30 qu’il rédige son œuvre fondamentale : La théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie (1936). Mais c’est pendant la guerre, sous le gouvernement de Winston Churchill, que Keynes atteint le sommet de son influence. Ainsi, en 1944, à la conférence de Bretton Woods qui crée le Fonds monétaire international (FMI), il est l’un des principaux architectes du système monétaire international de l’après-guerre.

Sa penséeS’il fallait résumer la pensée de celui qui a le plus marqué la réflexion économique du XXe siècle, ce pourrait être : « Oui, le marché engendre du chômage involontaire. » Dans son grand oeuvre – La théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie –, Keynes avance deux types d’explication possibles pour rendre compte de cette tendance du capitalisme à fonctionner en deçà de ses potentialités :
– une explication radicale, fondée sur l’incertitude du futur, qui pousse les hommes d’affaires à faire montre de prudence et, du coup, à investir moins qu’ils ne le devraient ;
– une explication plus traditionnelle, fondée sur le fait que toute insuffisance initiale de la demande tend à engendrer un cercle vicieux : moins de demande, donc moins de débouchés, donc moins de production, donc moins de salaires, donc moins de demande…
Alors que la deuxième analyse débouche sur une politique économique visant à regonfler la demande défaillante, la première passe par des institutions et des règles capables de réduire l’incertitude de l’avenir. Ces deux lectures de Keynes débouchent donc sur deux rôles assez différents de l’Etat : c’est toute l’ambiguïté d’un personnage brillant, capable de suivre plusieurs idées à la fois sans jamais trancher entre elles. Et c’est ce qui en fait aussi la richesse.

Ses écritsLes conséquences économiques de la guerre (1919), éd. Gallimard, 2002, dans un volume qui contient aussi Les conséquences politiques de la paix de J. Bainville.
La fin du laissez-faire (1926), Agone éditeur, 1999.
Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie (1936), éd. Payot, 1990.
Essais sur la monnaie et l’économie (articles – dont « La fin du laissez-faire » – rédigés entre 1923 et 1931), éd. Payot, 1972.
La pauvreté dans l’abondance (articles – dont « La fin du laissez-faire » – rédigés entre 1924 et 1938), éd. Gallimard, 2002.
Comment payer la guerre (1940), éd. L’Harmattan, 1997.

Pour aller plus loin
« Deux Keynes pour le prix d’une théorie », Alternatives Économiques n° 173, mars 2000.
« Keynes, un social libéral avant l’heure », Alternatives Économiques n° 202, avril 2002.
« John Maynard Keynes ou l’économie au service du politique et du social », Alternatives Économiques n° 220, décembre 2003.
Pour une bibliographie complète, voir le site du Center for Economic Policy Analysis (CEPA)

08 février 2009

Halte à la dictature de Wall Street !

Un peu comme dans les années qui ont précédé le krach de 1929, la décennie 90 a été folle, souvent incontrôlable. L’exubérance — aussi bien boursière que managériale — que nous avons connue dans ces années là ne pouvait pas durer. Comme prévu, dès le début du nouveau millénaire, ce fut l’explosion. La déflagration fut d’autant plus violente que la bulle internet éclata brutalement, sans préavis. Nous gardons tous en tête les scandales marquants de cette période noire : Enron, Andersen ou WorldCom. Nous avons également à l’esprit les effondrements boursiers qui s'en sont suivis. Tout a été de travers. Les dérives s’étaient multipliées à l'infini et il fallait regagner la confiance des investisseurs. Pour cela, on mit en place des réformes radicales dans la gouvernance des entreprises, dont la plus célèbre fut la loi Sarbanes-Oxley (appelée encore SOX). Elle impose en particulier à toute société côtée sur le marché américain de présenter au gendarme de Wall Street (la SEC - “Securities and Exchange Commission”) des comptes certifiés par son représentant légal. Devenus responsables pénalement, les dirigeants devinrent naturellement plus prudents. Tous les pays adoptèrent des règles plus ou moins similaires avec l’objectif de remettre de l’ordre dans l’économie mondiale. Pourtant les événements récents ont de nouveau plongé le monde dans le chaos le plus indescriptible. A la déroute des banques sont venues s’ajouter des affaires scabreuses, dont la dernière en date — le cas Madoff — restera sans doute l’une des plus grandes escroqueries de tous les temps. Face à cette situation — qui devrait nous réserver encore quelques surprises de taille — nous préconisons que les entreprises puissent se détacher des exigences court-termistes imposées par Wall Street. En courant constamment après la performance immédiate — trimestre après trimestre — les directions d’entreprises n’ont plus le temps de réfléchir et de choisir les bonnes options, sacrifiant souvent les projets de transformation les plus fondamentaux sur l’autel des coupes sombres de coûts, exigées par les actionnaires, eux-mêmes sous la pression continue des marchés. A peine un trimestre achevé qu’il faut en démarrer un autre. Le cycle est infernal et pour tout dire pas très sain. Le système de rémunération des dirigeants n’arrange pas les choses. La partie variable (payée sous forme de bonus, de primes ou de stock-options et indexée sur les résultats) les incite souvent à privilégier les résultats immédiats, avec les travers que nous imaginons. Certains penseront que ce sont là des réactions normales, le plan de rémunération ayant une influence sur les comportements. "Normales" n’est pourtant pas selon nous le terme le plus approprié. Disons plutôt qu’elles sont logiques puisque c’est là même le propre du système capitaliste. Le salaire doit être aligné sur la performance. Mais au fond de nous, une fois le recul nécessaire pris, nous savons bien que c’est exactement l’inverse de ce qu’il faudrait faire. De toute évidence, les entreprises ne peuvent pas se libérer de cette dictature sans aide. Plus personne ne se demande si notre système est le bon. On se contente de vivre avec. On veut tout reformer sauf l’essentiel. Lâchons du lest aux entreprises et les résultats suivront. Les gouvernements doivent reformer le système financier dans sa globalité. A commencer par les bourses. Il en va de l’intérêt de tous, actionnaires et salariés en premier lieu.