17 mai 2014

Le talk Orange - Le Figaro

Gérald Karsenti interviewé par Yves Thréard
Le Talk Orange - Le Figaro

J'étais l'invité du Talk Orange - Le Figaro vendredi 16 mai 2014, interviewé par Yves Thréard

Les questions ont essentiellement porté sur la compétitivité des entreprises et l'attractivité de la France, des sujets qui sont au coeur de mes réflexions et de celles de mon entreprise. 






Samedi 17 mai, était publié dans le Figaro (pages économiques) un papier complémentaire signé Charles Gautier, sous le titre : "Il faut se méfier des barrières à l'investissement - le président de HP en France juge les baisses de charges très utiles". 

Je précise que l'article comporte une erreur sur ma citation relative à la relance par la consommation. J'ai en fait dit que ce n'était pas la seule méthode pour relancer l'économie, mais qu'il fallait aussi compter sur un accroissement de la consommation des ménages.

Mise à part cela, voici le texte :

Invité vendredi du "Talk Orange - Le Figaro" au lendemain de la publication du "décret Alstom" donnant au gouvernement un droit de regard sur les investissements étrangers dans les secteurs stratégiques en France, le président pour la France du groupe américain Hewlett-Packard (H-P) a appelé à la plus grande prudence. "Je comprends qu'il faille protéger et défendre les entreprises françaises lorsqu'il y a un intérêt stratégique, a indiqué Gérard Karsenti. Mais il faut se méfier des contraintes qui peuvent créer des barrières à l'investissement étranger".
 
Pour doper sa croissance, la France devrait selon lui faire sauter un certain nombre de verrous. "Il faut agir, il y a urgence, a-t-il plaidé. Il faut entreprendre des réformes". Et surtout pas passer par une relance par la consommation. Il soutient en revanche la démarche de l'exécutif en matière fiscale. "La baisse de la fiscalité pour les salaires les moins aisés est une bonne chose", a applaudi le président de HP en France. Tout comme d'ailleurs la mise en place du crédit impôt compétitivité emploi (CICE) pour les entreprises qui "nous permet d'être plus compétitifs". Pour lui, toute baisse des charges pesant sur les entreprises le permet et le CICE est donc "un véritable atout pour les entreprises françaises".
Pour ce chef d'entreprise qui emploie plus de 6000 personnes dans l'Hexagone, la France souffre toutefois de nombreux handicaps et cite, pêle-mêle, son manque de flexibilité, un code du travail trop complexe ou encore la rétroactivité des textes, une notion complètement incompréhensible pour les Américains. "L'économie redémarre en Angleterre parce que ce pays a su se réformer, a-t-il poursuivi. Nous sommes engagés dans une course vitesse et je pense qu'il est nécessaire d'harmoniser les fiscalités en Europe".
Mais Hewlett-Packard ne se contente pas de réclamer des réformes, le groupe américain s'efforce aussi d'aider les jeunes entreprises. 
"Nous allons bientôt présenter un "kit start-up" pour les aider en mettant à disposition des moyens techniques et des conseils", a-t-il expliqué. Un moyen de participer à la croissance en transmettant une partie de son savoir-faire et aussi de créer des emplois. 
Par Charles Gautier 

Pour un leader, le manque de courage est éliminatoire ... interview dans les Echos

Le 12 Mai dernier est paru un échange que j'ai eu avec Valérie Landrieu, journaliste aux Echos sur le thème du leadership. 



Intégralité de l'interview :

Professeur de leadership à HEC, le Pdg de Hewlett-Packard France défend la force des convictions dans l'entreprise. Ne serait-ce que pour le bien des affaires.

Gérald Karsenti, le courage est, selon vous, un élément clef du leadership…
Je pense surtout que le manque de courage est un critère éliminatoire pour qui aspire à être un leader. La peur est dangereuse, parce que celui qui l'éprouve prend généralement de mauvaises décisions. Dans ma pratique, lorsque je pense qu'une décision doit être prise, je la défends jusqu'au bout. Je suis persuadé qu'une entreprise qui n'a pas de managers avec des convictions professionnelles n'avance pas.
Jusqu'où peut-on aller ?
Il ne s'agit pas non plus d'être un Don Quichotte. Il faut trouver le bon équilibre pour l'entreprise. D'ailleurs, le courage, cela peut aussi consister à dire à un collaborateur que son travail ne convient pas, alors que l'on ne veut pas le perdre. De façon plus générale, il faut avoir un système de valeurs qui constitue un cadre au-delà duquel on ne va pas. Il y a des moments où il faut se poser la question « Est-ce que je l'accepte ou est-ce que je m'en vais ? ». C'est une décision individuelle à prendre à laquelle je n'ai toutefois pas eu à répondre.
On pense évidemment à Eric Piolle, le nouveau maire de Grenoble*...
Quand Eric Piolle, que je ne connais pas, est parti, il avait une très bonne image auprès des salariés. Je ne peux pas vous en dire plus si ce n’est que je suis pressé de le rencontrer pour discuter de ce que mon entreprise peut apporter à la ville de Grenoble et sa région. J’aime cette région qui respire l’innovation et est dans le futur.
Du courage, des valeurs…
Et des résultats ! C'est le préalable indispensable. Mais à un moment donné, le professionnel se construit autour de son système personnel et la vision de ce qu'il veut faire de sa vie. La taille de l'entreprise importe peu ; quand vous dirigez, il est nécessaire que les gens que vous menez se reconnaissent dans votre système et se laissent entraîner par votre vision.
Quelles sont les autres caractéristiques essentielles du leadership ?
Au-delà du courage, le leader doit être authentique, être porté par une éthique irréprochable, disposer d'une intelligence émotionnelle et relationnelle et faire preuve d'initiative et de créativité.
Quelles sont les incidences managériales d'une entreprise de culture américaine ?
Les Américains ont une approche différente de la gestion des risques. En France, il n'y a guère de culture du risque… Les Américains créent pour gagner de l'argent, et ils sont très pragmatiques. Mais il serait inexact de tirer des conclusions générales : la dynamique de l'entreprise dépend surtout des patrons, des personnalités aux commandes.
HP est dirigé par Meg Whitman, une femme…
Meg Whitman a impulsé quelque chose de totalement différent par son passé entrepreneurial. Elle a créé eBay, fait de la politique. Elle a par nature un profil de créatrice tournée vers l'innovation qui imprime sa marque à l'entreprise. Etre dirigé par une femme ? Ce n'est pas une première pour moi [Gérald Karsenti était chez IBM France lorsque Françoise Gri en était le PDG, NDLR]. Je pense que les femmes ont un leadership différent de celui des hommes, avec une gestion plus équilibrée de l'ego. Nous sommes aujourd'hui dans une phase transitoire : dans l'entreprise, les femmes n'ont jusqu'à présent pas eu beaucoup d'autre choix que celui de prendre des hommes pour modèles. C'est en train de changer. Là aussi, il faut trouver un équilibre.
Quelle est votre ligne de conduite en matière de gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences ?
Derrière l'outil GPEC, il y a tout ce que nous voulons faire autour du cloud, du big data, de la sécurité et de la mobilité, sachant que plus de 50 % du « job » du patron, c'est de trouver, dans les équipes, les bonnes personnes pour les mettre aux bons endroits pour faire les bonnes choses. Notre université d'entreprise va nous y aider. Nous devrions avoir bouclé les négociations d'ici au mois de juin.
Avez-vous des maîtres à penser ?
Je suis un grand admirateur d'Alexandre Le Grand, qui était pour moi un opérationnel et un visionnaire. Il a su mettre son désir de conquêtes au service d'un objectif.
* Cadre dirigeant d'HP France sur le site de Grenoble, Eric Piolle a refusé de mettre en place un plan de délocalisation
Par VALERIE LANDRIEU, Les Echos

11 mai 2014

La stupidité comme mode de management (publié dans la Tribune)




Le papier ci-dessous peut sans aucun doute alimenter pas mal de discussions. Je vous laisse vous faire une opinion. Il y a un moment que je voulais le poster sur mon blog et le partager avec mon réseau sur LinkedIn. Voilà c'est fait. Rendez-vous sur mon profil LinkedIn pour y apporter vos commentaires si vous le souhaitez. Bonne lecture !

La stupidité comme mode de management

Publié dans la Tribune, Février 2013
 

La culture de la stupidité serait à l'origine de la crise financière de la City. Une étude anglo-saxonne note que l'intelligence des salariés est systématiquement découragée en temps de crise.

Voilà une étude qui devrait pousser les managers à s'interroger. Un rapport rédigé par les professeurs Andre Spicer (de la Cass Business School, qui fait partie de l'université City University de Londres) et Mats Alvesson (de l'université de Lund, en Suède), suggèrent que la culture au sein des entreprises de services financiers décourage les employés d'utiliser l'ensemble de leurs capacités intellectuelles..... Cela signifie que des questions importantes ne sont pas posées et que les oublis qui en résultent peuvent aboutir à des scandales comme la manipulation du LIBOR.

Dans « A stupdity-Based Theory of Organizations », ces deux professeurs vont jusqu'à indiquer que la série de scandales qui a frappé le monde de la finance en 2012 peut être attribuée à une culture largement répandue de la « stupidité fonctionnelle ». Des entreprises au sein desquelles la connaissance prime, comme les banques, ont développé une culture prônant l'attitude « N'y réfléchissez pas, faites-le. ». Réfléchir trop longuement à des difficultés et poser des questions gênantes sont des attitudes systématiquement découragées.

Quand la bêtise désarme

Les auteurs soulignent que les compétences des employés ne se sont pas réduites, mais qu'une véritable culture organisationnelle s'est développée : « De nombreuses entreprises, où l'intelligence des employés est primordiale, telles que les banques et les sociétés de services professionnels, assurent que les compétences sont à la base de leurs activités. Cependant, en y regardant de plus près, on s'aperçoit que la vérité est à l'opposé de cette affirmation. En réalité, la stupidité prime dans nombre de ces entreprises. Elles ne sont pourtant pas composées de personnes présentant de faibles QI. Habituellement, c'est même loin d'être le cas. Au contraire, ce sont plutôt ces entreprises qui incitent des personnes très intelligentes à ne pas mettre à profit l'ensemble de leurs capacités intellectuelles. Au lieu de cela, les employés sont supposés ne pas trop réfléchir et simplement faire leur travail », explique le professeur Spicer. Comme l'indique Robert Musil dans son opuscule intitulé « De la bêtise », celle-ci « endort la méfiance, désarme ». « On retrouve quelques traces de ce genre de finauderie dans certains rapports de dépendance où les forces sont à tel point inégales que le plus faible essaie de s'en tirer en se faisant passer pour plus bête qu'il n'est. (...) le faible qui ne peut pas irrite moins le détenteur du pouvoir que celui qui ne veut pas », écrit Musil. Mais aussi, comme le souligne cet intellectuel allemand dans cette conférence donnée en 1937, le phénomène de bêtise prend toute sa mesure dans des moments de panique....donc de crise, quand quelqu'un ou un organisme est soumis à une épreuve trop lourde ou une trop longue pression. De fait l'étude parue dans le « Journal of Management Studies » souligne  que la « stupidité fonctionnelle contribue à maintenir et renforcer l'ordre dans les organisations ». Un phénomène bien connu des psychologues qui relèvent dans la peur une suspension d'activité et de l'intelligence, qui pousse à remplacer la qualité des actions par la quantité.

Un mode managérial basé sur la persuasion

Rien d'étonnant donc à ce que des problèmes résultant de cette culture se révèlent d'après les deux professeurs uniquement lors de périodes économiques difficiles. Durant les périodes de croissance, cette culture permet, à l'inverse, aux employés de mieux collaborer et garantit que le travail est accompli de manière efficace et sans soulever de questions. Andre Spicer poursuit : « Quand les employés d'une entreprise posent peu de questions, ils ont tendance à mieux s'entendre et à travailler plus efficacement. Cela leur rend la tâche plus facile : ils en profitent également. » Tout simplement parce que confiance et bienveillance génèrent une autonomie propre à effectuer son travail sans non plus se poser de questions...

Ce qui caractérise ces situations de crise, note les deux auteurs, c'est le développement d'un mode managérial basé sur la persuasion avec force images et symboles visant à manipuler les troupes dans une seule et même direction. Sorte de lobotomisation qui permet de calmer toute velléité de sortir de la route tracée et qui, soulignent les professeurs, « bloque l'action ». Autrement dit, en évitant toute forme de confrontation constructive, les organisations se privent de ce qui fait l'essence même de l'échange des savoirs entre les salariés. Cette étude souligne ainsi à quel point les capacités cognitives des individus peuvent être limitées dès lors que s'instaurent des relations de pouvoir et de domination au lieu de faire appel aux ressources des individus.

"La plus dangereuse des maladies de l'esprit"

En 1937, Musil était visionnaire lorsqu'il déclarait dans sa conférence sur la bêtise : « on parle beaucoup aujourd'hui d'une crise de confiance de l'humanisme, d'une crise qui menacerait la confiance que l'on a mise en l'homme jusqu'ici ; on pourrait ainsi parler d'une sorte de panique sur le point de succéder à l'assurance où nous étions de pouvoir mener notre barque sous le signe de la liberté et de la raison (...) la bêtise « intelligente » entraîne l'instabilité et la stérilité de la vie de l'esprit. Ce n'est pas une maladie mentale. Ce n'en est pas moins la plus dangereuse des maladies de l'esprit, parce que c'est la vie même qu'elle menace ». Par un mode de management qui ne laisse pas de place à la singularité et aux ressources des individus, les organisations se privent de compétences essentielles pour continuer de se développer. Comme le dit le réalisateur belge Jacques Sternberg, peut-être qu'un jour on découvrira que la bêtise n'est rien d'autre qu'un virus".