27 avril 2013

Le véritable holdup de la finance ...

En France, nous nous targuons de "fabriquer" une élite intellectuelle. D'un certain point de vue, je partage cet avis. La France a depuis toujours su se distinguer sur ce plan. Les "lumières" émanent de la France depuis toujours, inspirant les plus grands mouvements d'idées et de société. Cela s'est sans doute accéléré sous la révolution française, sans jamais être démenti au cours des décennies suivantes. Normale Sup., Polytechnique, Mines Paris, HEC Paris, Sciences Po Paris ou l'ENA sont des références en France mais aussi dans le monde entier. La recherche mondiale vient nous prendre nos meilleurs talents qui s'installent depuis longtemps dans la Silicon Valley ou en Israël, et depuis moins longtemps, en Chine, en Inde ou en Australie. Les conseils d'administration des grandes firmes internationales viennent aussi chercher nos diplômés business sur les bancs d'HEC ou d'une autre "business school". C'est une reconnaissance universelle. Ma réserve initiale vient du fait que notre système de sélection est concentré sur une forme d'intelligence, le QI pour faire court, alors même qu'il en existe de multiples. Nous devrions nous inspirer de ce qui est fait dans d'autres pays pour enrichir nos cursus et donner à nos étudiants une ouverture plus grande. 

Mais revenons à notre propos. La France n'est en rien spécifique à cet égard. Les formations d'élite existent partout en Europe ou dans le Monde, et la problématique est donc la même ailleurs.  

Depuis toujours, nos élites sont tentées par la politique. La raison est simple, c'est l'un des moyens le plus sûr de marquer son passage terrestre, de rentrer dans l'histoire. François Mitterand aura aboli la peine de mort et permis l'avénement de l'Europe, et que l'on soit pour ou contre, François Hollande aura légalisé le mariage entre personnes de même sexe. 

De la fin de la seconde guerre mondiale à la fin des années 80, nos élites se sont ainsi massivement orientées vers l'inspection des finances (ou fonctions équivalentes), puis vers la politique, briguant des mandats électifs, visant un poste de ministre, voire un des postes suprêmes, celui de Premier Ministre, de Président de l'Assemblée Nationale ou du Sénat ou bien sûr de Président de la République. 

En classant mes papiers comme je le fais régulièrement, je suis tombé il y a quelques jours sur cette déclaration de Jacques Chirac à l'endroit d'Alain Juppé le qualifiant de "meilleur d'entre nous". Il est vrai que la lecture du CV de l'ancien premier ministre peut donner le cafard à beaucoup de gens. L'homme est à proprement parler une "élite". Il est de plus devenu avec les années l'une des valeurs sûres de la République. A droite bien sûr, mais à gauche aussi, il est reconnu. 

Mais mon propos n'est pas ici de discuter de la nécessité de disposer d'une élite ou pas, ni même de comparer nos élites à celles des autres pays. Il est davantage de faire un constat. Depuis la fin des années 80, peut-on affirmer que nos élites se dirigent bien vers la classe politique ? 

Rien n'est moins sûr. Il est même fortement probable que non. Le monde de la finance est venu là encore bouleverser la donne. Non content d'imposer ses vues, obligeant les entreprises à des disciplines draconiennes, il a peu à peu attiré les meilleurs talents. Il est vrai qu'avec la révolution numérique, de l'internet, les "meilleurs d'entre nous" se sont un peu détournés ... de la politique ... pour se diriger vers l'entreprise, et parfois ont même créé des entreprises. Il y a aussi plus d'argent à gagner. Cela a été à n'en pas douter un critère de choix. 

Je n'ai pas la réponse. A chacun de se faire une opinion. Mais au final, au sein des partis, il y a sans doute moins de talents en 2013 qu'il n'y en avait en 1963 ou en 1981. 

Pour réussir en politique, il faut une alchimie entre plusieurs éléments qui sont au bout du compte difficiles à réunir : des valeurs humaines éprouvées, du courage, de la culture, une intelligence pure, un leadership et un charisme avérés, une facilité à communiquer, des convictions politiques et une capacité à agir. 

Alors n'assistons-nous pas, sans en avoir eu toujours conscience, depuis plus de vingt ans au holdup organisé par la finance et le secteur privé du capital humain étatique des grandes démocraties occidentales ? 

Cela ne veut pas dire inversement qu'il n'y a plus de talents en politique. Il y en a plein. Mais sans doute moins qu'avant. On doit donc choisir dans un panel moins large ce qui tend à affaiblir le niveau avec le temps. Les élites modernes vont indéniablement vers la finance ou vers d'autres cieux. Un normalien qui se laisse tenter par le métier de "trader", rien de péjoratif dans cette assertion, c'est un peu dommage non ?

Nos élites devraient aller en priorité vers la recherche (médicale, technologique, fondamentale, etc.) et la vie politique. La recherche, c'est l'innovation et donc plus d'emploi à terme. La politique, c'est la bonne santé des nations, de la croissance et donc plus d'emploi à terme. Les enjeux au final sont les mêmes.

Dans l'hypothèse où mon intuition viendrait à se révéler juste, il serait alors nécessaire de redorer le blason de la politique pour être certain demain d'attirer les "meilleurs d'entre nous" et leur confier alors les manettes du monde en toute quiétude. Aujourd'hui, on se méfie du patrimoine des politiques alors même que c'est ce qu'ils font ou ne font pas qui est important ! On devrait au contraire les payer davantage ! Après tout, pourquoi ne pas attribuer un salaire élevé au ministre du budget par exemple sous condition qu'il évite à la France la banqueroute ! Il faudrait lui assigner des objectifs de résultats et le payer en conséquence ... 

Ce serait là notre intérêt non ? 

20 avril 2013

Le doute

En parcourant la presse ce matin, je tombe sur un article des Echos qui reprend un sujet qui fait tâche d'huile ses derniers jours dans la presse mondiale, à savoir la découverte par Thomas Herndon, étudiant à l'université du Massachussetts, d'erreurs commises par les deux économistes, Kenneth Rogoff et Carmen Reinhart, dans leurs calculs lors de la publication d'une étude en 2010. L'économie est l'un de mes sujets préférés, alors mon regard détecte assez rapidement ce type de sujet. 


Au premier abord, on se dit alors qu'il n'y a pas là de quoi fouetter un chat. Et pourtant, la tempête médiatique qui s'en est suivie est pour le coup justifiée. En effet, Rogoff et Reinhart concluaient, sur la base de leurs analyses économétriques, que "la croissance économique d'une nation ralentit massivement quand sa dette dépasse le seuil de 90% du PIB". 

Où est le problème ? Il vient du fait que cette déclaration est fausse et que c'est pourtant sur cette base que Paul Ryan aux USA et qu'Olli Rehn, commissaire européen aux Affaires économiques" ont respectivement poussé les pays en difficulté à tailler dans leurs dépenses. Effectivement, Herndon a montré qu'ils ont tout simplement oublié des pays, aboutissant à des biais et par là-même rendant leurs conclusions infondées !!! 

Il est surprenant de voir que l'on peut établir une stratégie, une démarche, un programme sur des données, des conclusions qui se révèlent fausses au final ! 

Il est surprenant de voir que l'on peut entraîner des masses dans une direction en découvrant après coup que la prémisse était fausse. 

Dans une société qui a définitivement versé dans l'information, dans un monde où les données doublent tous les dix-huit mois, cela peut paraître surprenant, d'autant plus que les chercheurs sont dotés de nos jours de moyens informatiques et statistiques qui devraient leur permettre d'éviter ce genre de déconvenues. 

Mais peut-on parer ce genre de problèmes ? N'est-on pas au fond confrontés, sans en prendre réellement conscience, à une obligation de publication, à la nécessité de produire vite, quitte à faire dans l'approximatif. N'est-ce-pas le résultat d'une évolution inéluctable de notre société ? Chacun se fera une idée mais cet article m'a amené à quelques réflexions ... 

Alors que les technologies de l'information permettent aujourd'hui de tout contrôler, par des croisements d'informations, par des recoupements massifs, permettant de mettre au grand jour les pires contradictions, nous devrions voir les tricheries, ou les approximations diminuer. Or c'est l'inverse qui se produit. Sans généraliser, bien entendu, nous n'avons jamais autant douté !

On doute de tout. Et au fond il y a de quoi ... les scandales politiques et/ou religieux se multiplient, certains étant à la limite du grotesque, la généralisation des communications instantanées, des tweets ou des blogs (j'en fait partie !) permet à n'importe qui de publier quelque chose sur n'importe quoi. On ne prend même plus le temps de vérifier si le déclarant a une quelconque expertise sur le sujet. Ce n'est du reste pas fondamentalement grave car lorsque l'on découvrira qu'il ne l'avait pas, cela donnera lieu à une nouvelle polémique, de nouveaux tweets etc. 

Nous sommes à un moment de notre histoire où le fait de communiquer est plus important que le contenu communiqué lui-même. On ne sait plus mettre de hiérarchie dans les malheurs du monde. Un ministre qui ment est massacré sur le plan médiatique ... certes c'est grave mais bon la terre va continuer de tourner. C'est surtout ennuyeux pour lui. On mettra sur le même plan le mensonge d'un homme de foi avec une guerre dans un pays africain. On ne sait plus doser. On ne sait plus relativiser. Les émissions se succèdent avec un seul objectif, faire du buzz

Et ça marche puisque nous ne faisons qu'une chose pendant des jours entiers, parfois de semaines : parler d'un sujet futile en lui donnant une importance considérable !

Au fond, plus nous avançons, plus nous mettons en doute ce que nous voyons. Tout le monde finit par se demander si tel attentat est vraiment un attentat ... si ceux qui ont été arrêtés et tués étaient bien les coupables ... si un mensonge d'état de seconde zone n'en cache pas un autre bien plus important ... si la libération d'otages ne cache pas en fait le paiement d'une rançon alors même que le chef d'état s'est clairement positionné sur la question. 

Nous avons peu à peu généré notre problème. Nous doutons de tout. Nous avons le sentiment que nous sommes en permanence manipulés. Nous avons le sentiment que l'on se moque de nous. 

On se jette sur les nouvelles du jour, outrés ou confortés dans nos positions, pour découvrir le lendemain que tout était faux, tant et si bien que les heureux d'un jour font les malheureux du lendemain et inversement ! Un peu fou non ? 

Voilà donc un bon sujet de thèse : la maitrise technologique de l'information crée-t-elle de la certitude ou du doute ? 

07 avril 2013

Protéger le français pour porter notre culture et nos valeurs

La culture est essentielle à toute société. Elle est d'autant plus importante qu'elle nous permet d'exister, de nous sentir uniques, en nous donnant le sentiment d'appartenir à une communauté fermée. Une sorte de privilège. Les cultures sont diverses et sont alimentées par de multiples sources. La langue en est une. Ainsi, la langue française qui fut longtemps la langue de référence, diplomatique, internationale, a joué et continue de jouer un rôle majeur dans la diffusion de l'esprit français. Mais force est de constater qu'elle a perdu de sa superbe et qu'elle n'est plus qu'une langue parmi d'autres, sans avantage particulier. Elle a cédé le pas voilà des décennies face à l'hégémonie de l'anglais et de l'américain, restant certes dans certains milieux réservés une langue "élitiste" et pour tous la traduction du génie de la création littéraire. 

Nous regardons avec fierté les oeuvres de Victor Hugo, Proust, Rimbaud ou de Sartre, dont la verve n'a d'égale que la qualité de leur français, sans comprendre que les auteurs modernes ont plutôt basculé de l'autre côté de l'atlantique, avec des Paul Auster ou des Philip Roth. Le monde change et nous devons nous accrocher à l'essentiel. La préservation de notre langue est une priorité. Bien sûr, les jeunes générations, et les autres aussi, doivent être quasiment bilingues anglais-français. Cela ne fait aucun doute. Mais cela ne doit en aucun cas se traduire par l'abandon de notre langue maternelle. Cette langue qui nous permet de garder un lien avec nos ancêtres.

L'histoire de France est complexe. Lumière du monde, c'est le cas de le dire, de la renaissance jusqu'à la fin du 19ème siècle, inspirante sous Louis XIV, puis sous la révolution, conquérante sous Napoléon, notre pays a brillé de mille feux à certains moments de sa construction. Comme l'Egypte, la Grèce ou Rome en leur temps. Abandonner notre langue, la laisser partir en perdition, revient à mourir doucement, comme d'autres empires auparavant. Sans attachement à nos racines, la langue en est une, nous pourrissons de l'intérieur. Car la langue ne sert pas qu'à la communication. Elle est aussi un fantastique lien culturel entre les individus. Elle entretient la fraternité et créé des liens indéfectibles. Deux français qui se croisent à l'autre bout du monde auront plaisir à échanger ensemble, tout comme deux italiens, deux allemands ou deux brésiliens. Demain la langue dominante ne sera peut-être plus l'anglais, mais le chinois ou le brésilien. Qui peut savoir ? 

Pour autant, la langue française n'est pas statique. Elle évolue avec le temps, sait intégrer les mutations sociétales (de nouveaux mots apparaissent) et s'enrichie régulièrement. Le français n'est pas une langue morte, mais bien vivante, dynamique et résolument moderne, et malgré leur âge certain, les académiciens mettent un point d'honneur à assurer cette évolution, gage de pérennité. 

En abdiquant sur la langue, en considérant par exemple qu'il est trop tard, qu'elle ne peut échapper à son sort, celui d'être réduite à sa plus simple expression, nous commettons une grave erreur. Il faut au contraire refuser qu'elle soit massacrée comme elle l'est parfois dans la bouche de certains. Les réseaux sociaux, les SMS et messageries instantanées ne nous aident pas toujours du reste. Le Français n'est pas une langue que l'on peut ou que l'on doit tronquer. Elle n'a de force que maniée avec dextérité, simplicité et élégance. Il faut affirmer qu'il n'y a pas une culture dominante, anglo-saxone, et des ethnies autour, mais une multitude de cultures, dont la notre, et se battre pour qu'elle fasse plus que survivre. Elle en vaut la peine. Le français en est l'expression. 

Protéger la langue française, c'est refuser de voir notre culture disparaitre peu à peu et vouloir retrouver la gloire passée d'une France entreprenante. Nous en avons les moyens. Ce n'est pas impossible. Et même si ce n'est pas simple, il faut se fixer un objectif et s'y tenir. Que le Français redevienne la langue internationale au niveau mondial, c'est en effet peu probable, mais qu'elle soit davantage et mieux utilisée en France et dans les pays qui la pratiquent, c'est non seulement possible mais c'est nécessaire. 

Il faut pour cela commencer par transformer nos formations. Ne cherchons pas à copier les modèles MBA anglo-saxons, notre valeur ajouté serait limitée, mais plutôt à nous appuyer sur nos spécificités. Les MBA américains ou européens ont par ailleurs montré leurs limites. Détachons-nous en et faisons valoir nos atouts, qui nous permettent du reste aujourd'hui de dominer encore dans certains secteurs comme ceux du pneumatique, de l'aéronautique ou du luxe. Faisons en sorte que nos meilleurs talents aient envie d'innover en France et pas ailleurs. Faisons en sorte qu'ils créent ensuite des entreprises à vocation internationale en France pour servir le monde. C'est à ce prix que la France va regagner peu à peu ses galons et faire de nouveau parler d'elle pour d'autres motifs que nos scandales ridicules. 

Les groupes français qui ont souvent institué le français comme langue principale gagneraient à donner des cours à leurs salariés étrangers qui le souhaitent. Voilà un bon moyen de répandre le français à moindre frais ! 

Dans la compétition internationale que nous vivons aujourd'hui, la maitrise de la langue est un atout indéniable. Nous autres Français le voyons bien. Nous sommes rarement avantagés de conduire des meetings ou des négociations dans la langue de Shakespeare. Nous partons généralement avec un poids supplémentaire. 

Pour gagner, il faut être conscient de ce que l'on est et se développer sur ses atouts, pas ceux des autres, il faut entrainer l'autre sur notre terrain, là où nous sommes un peu plus à l'aise. Jouer à domicile a parfois des avantages ! 

Je suis persuadé qu'une France fidèle à elle-même peut apporter beaucoup au monde de demain qui est indéniablement en pleine turbulence, tant en apprenant des autres. C'est bien ainsi que nous avons progressé, la France a toujours été une terre d'asile, d'écoute et de mixité. La richesse première de notre pays a toujours été d'intégrer les richesses culturelles apportées par les autres à notre socle de base. C'est ainsi que notre culture s'est étoffée au fil du temps. Préservons-là ! Et pour se faire, rien ne vaut que de protéger en premier lieu notre langue qui permet de passer nos émotions et de transmettre nos valeurs. 

01 avril 2013

La vigilance est toujours nécessaire !

Sans porter de jugement sur ce livre que je n'ai pas encore lu, je copie ci-dessous un article qui a attiré mon attention et qui selon moi mérite réflexion. Heureusement il n'y a pas que cela autour de nous ! Mais vigilance oblige ! 

Et à chacun de se faire une opinion !

Capital, du 26/03/2013

"La crise renforce le pouvoir de nuisance des sales cons dans les entreprises"
L’auteur du best-seller "Objectif zéro-sale-con" est formel : la peur du chômage donne encore plus de champ aux individus néfastes qui sévissent en entreprise.

Depuis la parution de son livre, «The No Asshole Rule» («Objectif zéro-sale-con») en 2007, Robert Sutton est devenu le spécialiste mondial des personnalités odieuses au bureau. Il avait déjà réédité son ouvrage en 2010, avec une pelletée de nouvelles observations. Nous lui avons demandé de faire un troisième point, fin janvier 2013, sur l’évolution des comportements déviants en milieu professionnel. Même au téléphone, depuis Palo Alto, l’homme s’enflamme sur le sujet : avec la crise, les tyrans, les pervers et les emmerdeurs de tout poil ont de plus en plus le champ libre. Mais beaucoup d’entreprises commencent à poser des garde-fous.

Management : Pourquoi le professeur en comportement organisationnel que vous êtes s’est-il penché sur le sujet des “sales cons” ?
 
Robert Sutton : Tout d’abord parce que quand j’étais petit, mon père m’a toujours dit de ne jamais devenir un sale con. Plus tard, quand j’ai commencé à travailler au département de management et d’ingénierie de Stanford, je me suis fixé comme règle, avec d’autres enseignants, de ne jamais embaucher ce genre de profil. Même si c’est un prof brillant, un sale con pourrit l’ambiance et fait baisser le niveau d’innovation, de motivation et de productivité. Au sein de l’entreprise, c’est la même chose, d’où mes travaux universitaires sur le sujet. Le lieu de travail doit rester un endroit civilisé. Dans un environnement où règnent le respect et la dignité, la productivité est toujours meilleure : il s’agit d’un cercle vertueux. Sinon, les sales cons prolifèrent. 
 
Management : Le phénomène est mondial, d’après les retours que vous avez… 

Robert Sutton : Pendant que je vous parle, je regarde mon blog : j’ai recueilli à ce jour environ 11 000 témoignages et demandes de conseils venant du monde entier depuis la parution de mon livre, en 2007. D’ailleurs, beaucoup de ces e-mails arrivent de France, et je dois faire appel à ma sœur pour qu’elle me les traduise. Tous ces messages prouvent que le sujet concerne des millions de personnes sur la planète, ce qui est inquiétant et m’a incité à continuer d’étudier le phénomène. Dans les entreprises prestigieuses pour lesquelles il m’arrive d’intervenir comme consultant, chez McKinsey, par exemple, on m’appelle «the asshole guy», «monsieur sale con» !
Management : Avec la crise, avez-vous vu émerger de nouveaux comportements déviants ? 

Robert Sutton : Ce qui a surtout changé, dans ce contexte économique, c’est qu’avec les taux de chômage record que connaissent les Etats-Unis et l’Europe, les gens ont peur de perdre leur job et hésitent davantage à se rebeller contre les managers tyranniques ou pervers. Du coup, le pouvoir de nuisance de ces derniers s’est accru. J’ai d’ailleurs une anecdote regrettable à raconter à ce propos : à cause de mon livre, qu’il avait posé ostensiblement sur son bureau, un de mes lecteurs a été licencié
Management : Les nouvelles technologies contribuent à répandre le mauvais esprit, non ? 

Robert Sutton : L’e-mail permet effectivement d’envoyer des courriers cinglants sans confrontation directe. Un abruti peut aussi déverser des horreurs sur une personne en utilisant la fonction copie cachée. Avec les réseaux sociaux, en revanche, c’est différent. Dénigrer quelqu’un sur Facebook ou Twitter risque, un jour ou l’autre, de se retourner contre vous.

Management : Les entreprises réagissent-elles, du moins aux Etats-Unis ? 

Robert Sutton : Oui. Les écarts de comportement sont de moins en moins tolérés dans les boîtes. Je pense notamment à Procter & Gamble, mais il y en a beaucoup d’autres. Dans ce groupe, ils ont compris que les salariés, même les superstars, qui passent leur temps à être arrogants, à rabaisser leurs collègues et à ne penser qu’à leur intérêt personnel créent une atmosphère démotivante, vampirisent l’énergie de l’entreprise et méritent d’être virés. Chez Google, ils appliquent carrément ce principe dès le processus de recrutement. Il n’y a pas de place pour les connards à Moutain View, fussent-ils les meilleurs techniciens de la Silicon Valley. 

Management : Beaucoup d’entreprises mettent en avant leur mission, leur vision, leurs valeurs… Que pensez-vous d’un code de bonne conduite, un “No Asshole Code” ? 

Robert Sutton : Je dirais oui, faites-en un, mais ne le publiez pas : il est plus important de le rendre implicite. Selon moi, il y a un risque de décrédibilisation pour une entreprise qui afficherait un code de bonne conduite sans que le top management le respecte. Je connais ainsi un labo pharmaceutique dont la dirigeante a ajouté aux valeurs du groupe un objectif du type «zéro sale con». Or elle-même se comportait exactement comme ce qu’elle décriait. Devinez quoi : il y a eu un mouvement de rébellion et elle a finalement été virée par ses actionnaires. Il ne faut jamais rien publier qui puisse vous faire passer pour un hypocrite ou un menteur. Avoir un code de bonne conduite est important. Mais ce qui compte, c’est l’état d’esprit insufflé par les leaders d’une entreprise, et leur façon de se comporter. Les studios Pixar, par exemple, ou l’agence de design Ideo sont des entreprises qui ont besoin d’idées originales pour demeurer innovantes. L’écoute et la confrontation positive des points de vue y sont favorisées et valorisées sans qu’il y ait aucune règle écrite. L’atmosphère qui y règne crée une dynamique positive. 

Management : Mais ne risque-t-on pas de se retrouver entouré d’imbéciles heureux ? 

Robert Sutton : Il faut évidemment se méfier des collaborateurs qui n’expriment pas leurs opinions, ont une attitude soumise ou manquent de personnalité. Les managers, quant à eux, doivent apprendre à être directs, même si c’est au détriment de leur popularité. Une entreprise vit toutes sortes d’événements, et certains collaborateurs ont parfois besoin qu’on leur remonte les bretelles. On peut avoir des discussions houleuses, mais il faut toujours conserver un respect mutuel. Les meilleurs patrons sont ceux qui sont capables de dire rapidement les choses positives ou négatives à leurs salariés. 
Quelle attitude conseillez-vous d’adopter face à la méchanceté ? 
Robert Sutton : Le détachement. Personnellement, si quelqu’un m’agresse, je sais neutraliser l’atteinte émotionnelle produite par l’attaque. Avec le temps, ça s’apprend. Si vous n’y parvenez pas et que vous vous retrouvez dans un environnement professionnel où sévit un sale con, cherchez un job dans une boîte où on ne les tolère pas.

Propos recueillis par Claire Derville et Gabriel Joseph-Dezaize

L'information sans gestion c'est Big danger !

Gérald Karsenti invité à la conférence 
organisée par SCOR le 26 Mars dernier sur le thème du Big Data
Le 26 Mars dernier, je participais  au séminaire sur le thème "Big Data: défis et opportunités pour les assureurs", organisé par l'Institut des Actuaires, l'Institut de Formation de la Profession de l'Assurance (Ifpass), l'Institut des Sciences Financières et actuarielles (ISFA, Lyon) et Scor. Cela se passait dans les locaux de Scor, rue Kléber à Paris. Le séminaire réunissait la communauté des actuaires et des assureurs autour d'un sujet devenu majeur pour toute la profession. Dans une introduction enlevée et illustrée de cas concrets, le président David Kessler (Scor) lance les débats.

La première session débute sur le thème : "Big Data : vers une nouvelle science des risques ?". 

Je suis le premier intervenant. Après avoir défini le Big Data en lui-même, je donne une vue sur ce que représente exactement aujourd'hui ce que l'on appelle également "la gestion des masses de données colossales": entre 2,4 et 2,7 trillions d'octets créés par jour, 78000 tweets échangés par minute et 23000 applications téléchargées sur la même unité de temps. En substance, les données doublent tous les 18 mois ! Nous sommes confrontés à un phénomène de société qui touche davantage de monde que les seuls acteurs informatiques. Tout le monde est concerné. 

C'est d'autant plus crucial qu'au moment même où ces données explosent, nous avons besoin de prendre des décisions rapidement, dans des contextes où les critères de choix sont de plus en plus basés sur du "multi-factoriel", dans des environnements qui se trouvent être de plus en plus "pluri-disciplinaires". Ne pas maîtriser les données de son entreprise revient à l'inverse de ce qui est généralement escompté. Il est donc fondamental de prendre les bonnes options, pour être en mesure de mettre "la bonne information entre les mains de la bonne personne au bon moment pour prendre la bonne décision". 

Cette explosion des données s'est produite dans le temps, au cours des dernières décennies, avec l'évolution de l'informatique, partie de la production pour arriver aujourd'hui aux systèmes Cloud, aux médias de tous types et aux réseaux sociaux. Avec le machine-to-machine et l'Open Data, nous sommes de plus confrontés à de nouvelles sources de création de données. Mais l'information arrive de toute part, les formats sont variés, il peut s'agir de vidéos, d'audio, d'emails, de textes, de SMS, d'informations produites par des capteurs en tout genre ou d'images

Le Big Data, qui peut aussi se définir sous 4 angles (Volumes, Vélocité, Variétés et Valeur), permet d'analyser le passé ("analytics, Graphes), de comprendre l'Instant (corrélations, animations) et de prévoir le Futur (Maths, arbres). 

Au-delà de la compétence métier, des maths et de la statistique, il parait évident que les actuaires et assureurs vont devoir pour survivre maitriser la connaissance IT et apprendre à gérer les données avec efficacité et même dans l'efficience. 

L'enjeu va être de maîtriser les flux informationnels, sachant que 3/4 des données existantes sont non structurées. D'un côté il y a en effet le monde de l'information encadrée, structurée, celle de l'IT, qui appartient à l'entreprise (c'est le SI interne). D'un autre, il y a le monde non structuré qui se trouve aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'entreprise. 

Les exemples d'applications au monde de l'assurance ne manquent pas : grâce à des capteurs, on peut intégrer le comportement des conducteurs au volant dans l'établissement ultérieur de polices d'assurance et de leurs options; on peut prévenir ou réduire les risques sismiques, d'ouvrages, de dommages et sinistres majeurs. On peut aussi gérer sa e-reputation.

Et si la gestion de l'information est primordiale pour le monde de l'assurance, elle l'est tout autant pour les autres secteurs.  

L'idée est de passer du Big Data au Better Data en changeant d'approche, en structurant l'ensemble de façon différente ... mais c'est une autre question.

Il est en tout cas certain que cette profusion d'informations n'est pas neutre et que son orchestration devient un enjeu vital pour les entreprises et les Etats.

Pour se faire, il faut disposer d'une batterie d'outils pour faire le tri et utiliser la bonne information en fonction de ce que l'on veut faire. Bonne nouvelle, ils existent !