Le papier
ci-dessous peut sans aucun doute alimenter pas mal de discussions. Je vous
laisse vous faire une opinion. Il y a un moment que je voulais le poster sur
mon blog et le partager avec mon réseau sur LinkedIn. Voilà c'est fait.
Rendez-vous sur mon profil LinkedIn pour y apporter vos commentaires si vous le
souhaitez. Bonne lecture !
La stupidité comme mode de management
Publié dans la Tribune, Février 2013
La culture de la stupidité serait à l'origine de la crise financière de la
City. Une étude anglo-saxonne note que l'intelligence des salariés est
systématiquement découragée en temps de crise.
Voilà une étude
qui devrait pousser les managers à s'interroger. Un rapport rédigé par les
professeurs Andre Spicer (de la Cass Business School, qui fait partie de
l'université City University de Londres) et Mats Alvesson (de l'université de
Lund, en Suède), suggèrent que la culture au sein des entreprises de services
financiers décourage les employés d'utiliser l'ensemble de leurs capacités
intellectuelles..... Cela signifie que des questions importantes ne sont pas
posées et que les oublis qui en résultent peuvent aboutir à des scandales comme
la manipulation du LIBOR.
Dans « A
stupdity-Based Theory of Organizations », ces deux professeurs vont jusqu'à
indiquer que la série de scandales qui a frappé le monde de la finance en 2012
peut être attribuée à une culture largement répandue de la « stupidité
fonctionnelle ». Des entreprises au sein desquelles la connaissance prime,
comme les banques, ont développé une culture prônant l'attitude « N'y
réfléchissez pas, faites-le. ». Réfléchir trop longuement à des difficultés et
poser des questions gênantes sont des attitudes systématiquement découragées.
Quand la bêtise
désarme
Les auteurs
soulignent que les compétences des employés ne se sont pas réduites, mais
qu'une véritable culture organisationnelle s'est développée : « De nombreuses
entreprises, où l'intelligence des employés est primordiale, telles que les
banques et les sociétés de services professionnels, assurent que les
compétences sont à la base de leurs activités. Cependant, en y regardant de
plus près, on s'aperçoit que la vérité est à l'opposé de cette affirmation. En
réalité, la stupidité prime dans nombre de ces entreprises. Elles ne sont
pourtant pas composées de personnes présentant de faibles QI. Habituellement,
c'est même loin d'être le cas. Au contraire, ce sont plutôt ces entreprises qui
incitent des personnes très intelligentes à ne pas mettre à profit l'ensemble
de leurs capacités intellectuelles. Au lieu de cela, les employés sont supposés
ne pas trop réfléchir et simplement faire leur travail », explique le
professeur Spicer. Comme l'indique Robert Musil dans son opuscule intitulé « De
la bêtise », celle-ci « endort la méfiance, désarme ». « On retrouve quelques
traces de ce genre de finauderie dans certains rapports de dépendance où les
forces sont à tel point inégales que le plus faible essaie de s'en tirer en se
faisant passer pour plus bête qu'il n'est. (...) le faible qui ne peut pas
irrite moins le détenteur du pouvoir que celui qui ne veut pas », écrit Musil.
Mais aussi, comme le souligne cet intellectuel allemand dans cette conférence
donnée en 1937, le phénomène de bêtise prend toute sa mesure dans des moments
de panique....donc de crise, quand quelqu'un ou un organisme est soumis à une
épreuve trop lourde ou une trop longue pression. De fait l'étude parue dans le
« Journal of Management Studies » souligne que la « stupidité
fonctionnelle contribue à maintenir et renforcer l'ordre dans les organisations
». Un phénomène bien connu des psychologues qui relèvent dans la peur une
suspension d'activité et de l'intelligence, qui pousse à remplacer la qualité
des actions par la quantité.
Un mode
managérial basé sur la persuasion
Rien d'étonnant
donc à ce que des problèmes résultant de cette culture se révèlent d'après les
deux professeurs uniquement lors de périodes économiques difficiles. Durant les
périodes de croissance, cette culture permet, à l'inverse, aux employés de
mieux collaborer et garantit que le travail est accompli de manière efficace et
sans soulever de questions. Andre Spicer poursuit : « Quand les employés d'une
entreprise posent peu de questions, ils ont tendance à mieux s'entendre et à travailler
plus efficacement. Cela leur rend la tâche plus facile : ils en profitent
également. » Tout simplement parce que confiance et bienveillance génèrent une
autonomie propre à effectuer son travail sans non plus se poser de questions...
Ce qui caractérise
ces situations de crise, note les deux auteurs, c'est le développement d'un
mode managérial basé sur la persuasion avec force images et symboles visant à
manipuler les troupes dans une seule et même direction. Sorte de lobotomisation
qui permet de calmer toute velléité de sortir de la route tracée et qui,
soulignent les professeurs, « bloque l'action ». Autrement dit, en évitant
toute forme de confrontation constructive, les organisations se privent de ce
qui fait l'essence même de l'échange des savoirs entre les salariés. Cette
étude souligne ainsi à quel point les capacités cognitives des individus
peuvent être limitées dès lors que s'instaurent des relations de pouvoir et de
domination au lieu de faire appel aux ressources des individus.
"La plus
dangereuse des maladies de l'esprit"
En 1937, Musil
était visionnaire lorsqu'il déclarait dans sa conférence sur la bêtise : « on
parle beaucoup aujourd'hui d'une crise de confiance de l'humanisme, d'une crise
qui menacerait la confiance que l'on a mise en l'homme jusqu'ici ; on pourrait
ainsi parler d'une sorte de panique sur le point de succéder à l'assurance où
nous étions de pouvoir mener notre barque sous le signe de la liberté et de la
raison (...) la bêtise « intelligente » entraîne l'instabilité et la stérilité
de la vie de l'esprit. Ce n'est pas une maladie mentale. Ce n'en est pas moins
la plus dangereuse des maladies de l'esprit, parce que c'est la vie même
qu'elle menace ». Par un mode de management qui ne laisse pas de place à la
singularité et aux ressources des individus, les organisations se privent de
compétences essentielles pour continuer de se développer. Comme le dit le
réalisateur belge Jacques Sternberg, peut-être qu'un jour on découvrira que la
bêtise n'est rien d'autre qu'un virus".