Qui peut mieux représenter l'audace que Danton !
Je vous parle d'audace, car j'ai découvert il y a peu le blog de Mathilde Aubinaud, une jeune fille de grand talent. Il s'intitule "La Saga des Audacieux". Tout un programme !
Pari tenu, le blog regorge de posts intéressants et d'interviews de personnalités dans divers domaines.
J'ai moi-même été interviewé par Mathilde. Ci-dessous je vous en livre le lien et le texte :
Lien de mon interview dans "La Saga des Audacieux"
La Saga des Audacieux
Texte de l'interview
Rencontre avec Gérald Karsenti, Président Directeur Général d’HP France et Professeur affilié à HEC Paris où il enseigne le leadership.
Quel serait votre regard sur l’audace ?
« Un tempérament audacieux génère des opportunités. »
Un audacieux fait ce que les autres n’osent pas faire. Cela peut être perçu parfois comme négatif parce qu’intrusif ou parce que l’on prête ce trait de caractère à des personnes ambitieuses ou carriéristes. Mais c’est surtout très positif lorsqu’il s’agit de trouver des brèches que les autres ne verront pas. Etre audacieux c’est se lancer dans de nouveaux marchés, c’est remettre en cause les choses établies et le statu quo. L’audace c’est le courage et l’envie d’oser. Elle est le fil continu d’une entreprise qui est agile.
Comme alors appréhender le marché et ses enjeux ? Comment s’inscrivent-ils par rapport aux besoins des consommateurs ?
« Le digital n’est plus un problème de technologie. »
Ce que l’on oublie, souvent, c’est que le digital n’est plus un problème de technologie uniquement. Il y a eu un temps, à l’ère de l’informatique, où l’on attendait le dernier serveur, la dernière annonce de PC. Maintenant, on sait qu’à la vitesse où va le progrès, on pourra tout faire. A la maison, on a le réseau, on a des objets numériques connectés : on est au XXIème siècle. Dans l’entreprise, cela est plus compliqué.
Mais il n’empêche, la technologie a tellement progressé que l’on peut tout envisager. Dans la révolution digitale, le regard est en rupture. C’est une vraie disruption et ceci dans tous les métiers.
Il ne faut pas rester figé...
Prenons l’exemple de l’hôtellerie. Ce monde est percuté par des start-ups. Si l’hôtellerie ne fait pas attention, elle peut se faire totalement « uberiser », selon la fameuse formule de Maurice Lévy. C’est déjà le cas d’ailleurs. D’un côté, des sociétés à l’image d’Airbnb viennent et prennent des parts de marché aux acteurs traditionnels en mettant à disposition des logements de particulier à particulier. De l’autre côté, il y a Booking.com où l’on rentre les informations pour réserver sur Booking.com. Et c’est alors Booking.com qui a le contact client.
La digitalisation ce sont des sociétés qui sont à la base des individus. Ils ne se posent pas de questions. Ils avancent. Aujourd’hui, l’émergence des sociétés start-up est fondée sur l’innovation.
Comment la notion de technologie d’usage prend-elle pleinement sens ? En quoi les consommateurs deviennent-ils prescripteurs ?
« Les consommateurs challengent positivement les entreprises. »
Les consommateurs arrivent et challengent positivement les entreprises en leur proposant de concevoir des produits et des services dont ils ont besoin. L’usage a la primauté sur la technologie. On est dans une logique d’usage. C’est avoir à sa disposition que des « choses » dont on va se servir et qui sont utiles. Si dans les cinquante dernières années on fournissait des technologies à des clients pour qu’ils puissent construire le système dont ils avaient besoin, le modèle actuel chez HP, tel qu’on le perçoit, est qu’il faut en plus de cela, proposer un ensemble de services . Si on a besoin d’éditer des bulletins de salaire, pour une entreprise de 100 personnes et que l’on souhaite 100 bulletins de salaire, on en paie 100. Si l’on en veut 102, on en paie 2 de plus. Le prix est au bulletin. Vous payez uniquement le service. Le prix est modulé. Si vous avez besoin de moins, vous payez moins.
Quelles sont les figures qui incarnent l’audace ?
Xavier Niel ou Patrick Drahi avec des modèles et des façons de procéder tout à fait différentes. Cela ne veut pas dire pour autant que je me reconnais en eux, ou du moins en tous points, mais ils sont audacieux, c’est un fait. L’audace peut aussi être politique. Tous pensent qu’ils vont être un jour au sommet de l’Etat. Ils font le maximum pour y arriver. Il y a là une forme d’audace.
En quittant le confort du quotidien ?
« L’audacieux prend des risques. »
Quand on tente quelque chose, on s’expose, un homme politique qui se lance dans la course aux présidentielles se met à nu, se révèle quand il est attaqué ou critiqué. Si cela ne marche pas, il n’en sort pas indemne. Il en va de même dans toutes les actions qui nécessitent de l’audace : dans l’entreprise, le sport… Dans tout. L’audacieux prend des risques.
Dans un monde en mutation, l’entreprise joue un rôle moteur. Comment se pose la question de l’agilité pour une grande entreprise ?
« Les challengers permanents. »
Il faut tout d’abord avoir la bonne équipe. Un mélange de personnes qui font arriver les trains à l’heure aux bons endroits, dans les bons postes et des personnes qui pensent et agissent différemment. Ils prennent des voies que les autres ne prennent pas. Ils n’ont pas peur de perturber ce qui est en place. Ce sont des challengers permanents. Il ne faut pas avoir peur de nommer des personnes qui ne nous ressemblent pas. Notre réflexe, dans notre culture occidentale, c’est se répliquer. On promeut ceux qui ont fait les mêmes écoles. C’est beaucoup plus fort d’être capable de recruter des personnes qui ne nous ressemblent pas.
C’est en confrontant intellectuellement que l’on se dépasse ?
Oui, parce que l’audacieux bouscule. Il prend les personnes à contre-courant, de vitesse. Il crée un tremblement de terre, du mouvement, des ruptures, des failles.
Il faut se mettre en observation du marché en permanence avec une veille à la fois externe et interne. Il s’agit de regarder le marché : des concurrents et des entreprises d’autres secteurs. Regarder, également, si l’on ne s’endort pas. La compétence est une valeur relative et non absolue. Si vous n’entretenez pas votre capital, il se déprécie. Il faut de l’acquisition de connaissances, d’expériences en allant plus vite que les autres. Il faut agir, prendre des décisions, accepter la marge d’erreurs.
Aujourd’hui, qu’est-ce qu’un leader, qu’est ce qui fait qu’une personne est suivie ?
On est en train de changer le référentiel. Bien entendu, la vision définie par le leader est immuable. Le leader répond à la question du « pourquoi ?».
Le pourquoi comme quête de sens ?
C’est le sens que vous donnez aux choses, que vous mettez dans vos actions. C’est très important. Aujourd’hui, nous n’avons plus le temps de nous concentrer sur cette thématique. C’est une erreur. Cet enjeu est une constante. C’était vrai sous Alexandre Le Grand, Robespierre ou Napoléon. Tous ceux qui ont fait des changements majeurs dans l’Histoire de l’humanité ont donné du leur sens. Donner une vision n’est pas suffisant. Il faut donner un calendrier en passant par des étapes. Les qualités restent comme l’éthique.
« Le leader est plus proche des collaborateurs. »
Dans le leadership de demain, il y aura des changements. On est passé d’un leadership paternaliste dans les années 1950,1960 avec des chefs directeurs à des leaders inspirationnels et transformationnels qui font bouger les lignes. Le leader est imaginé comme charismatique. Aujourd’hui, le leader est plus proche des collaborateurs, des citoyens. Il est très à l’écoute. Le monde est devenu tellement complexe qu’il faut accepter que la compétence soit partout. Il faut capter les mouvements, écouter, prendre les idées. Faire travailler ensemble les communautés pour atteindre des objectifs. La personne du leader s’estompe au profit du collectif. En raison des réseaux sociaux, de la multiplicité des contacts, on passe d’un leader au-dessus de la mêlée à un leader qui continue à inspirer mais qui est avec les autres en faisant travailler des équipes autour d’un projet pour un but donné. Les salariés ont eux même évolués.
La culture de l’entreprise est dès lors cruciale ?
Les salariés veulent une entreprise qui leur convient, en conformité avec leur valeur. Avant le « pourquoi ? » comptait moins que le « quoi ? » et « le comment ? ». Aujourd’hui, le « pourquoi » est placé avant. C’est une belle différence.
Quand on est dans un leadership, comment gardez des valeurs qui animent l’individu ?
« Si tu veux réussir sois-toi-même. »
Il faut rester soi-même. Si l’on ne fait pas attention, on passe notre vie à porter des masques. Ou bien, on peut décider simplement d’être soi-même. En démarrant ma carrière, j’ai eu la chance de rencontrer un leader et de le côtoyer pendant une année. J’ai retenu de lui cette idée: « si tu veux réussir sois-toi-même. » Je ne suis pas différent dans ma vie professionnelle et dans ma vie privée et je dis ce que je pense. Quand je parle, je n’engage pas que moi. Les comportements, actions et paroles m’engagent certes mais je sais que les conséquences peuvent ne pas être neutres pour celles et ceux qui travaillent à mes côtés. Ce n’est pas neutre. Le leader a une responsabilité. Quand vous avez des sujets difficiles, le dirigeant se doit de garder une forme de neutralité.
Quels sont les prochains challenges qui vous portent ?
Trouver les zones de croissance pour toujours rester leader et toujours servir les clients et avoir un temps d’avance. Il y a 5 ans, nous avons pris des décisions avec des investissements importants pour se positionner sur des secteurs comme le cloud computing, le Big Data. Nous avons fait preuve d’audace collective et cela a payé. On doit se dire : où doit-on investir demain pour rester pionnier et leader ? On l’a fait en lançant le programme start-up. Etre tout le temps sur le qui-vive. Comment vais-je faire pour être différent, pour créer de la valeur ?
Quels liens faites-vous entre les idées et twitter ?
J’ai vu deux valeurs sur twitter. C’est l’un des capteurs externes. Des sujets émergent. J’ai aussi appris à travailler la formule. C’est faire passer une information réelle sur un média décalé.
Sans la diluer...
Dans un nombre de caractères limités, il s’agit d’éviter qu’elle devienne incomplète ou incompréhensible.
Quel serait le mot de fin ?
« On a oublié d’être courageux. »
Je fais un parallèle entre le courage et l’audace. Dans le monde demain, le courage fera la différence. Le courage est partout. C’est le courage de se remettre en cause, de se transformer, de ne pas laisser des anomalies, de remettre en cause l’intolérable. C’est la qualité la plus importante. On a oublié d’être courageux. On se cache tout le temps derrière un écran. Etre courageux, c’est être très physique. C’est être capable de faire des choses.
Je crois demain au mélange des diversités et au mélange du multiculturalisme. On va enfin comprendre que le modèle occidental n’est pas l’unique référence. C’est un modèle. Il y en a d’autres. Lorsque vous parlez à des équipes réparties dans plusieurs pays, la lecture du message n’est pas la même pour un canadien, un égyptien, un espagnol. Il faut apprendre à parler en tenant compte de l’éducation, des cultures… et des sensibilités.
Le modèle actuel est très normatif...
Si l’on veut être dans un modèle mondial, il faut accepter les lectures différentes. Il y aura des socles communs et des valeurs universelles. Un autre sujet qui m’intéresse particulièrement : l’intégration des handicaps. Cela peut arriver à tout le monde. Laisser une place aux personnes handicapées c’est se doter d’une force incroyable.
« Le monde de demain, grâce aux femmes, ne sera plus le même. »
Autre diversité : les hommes et les femmes. J’y crois. Cela va totalement changer la société. Le monde de demain, grâce aux femmes ne sera plus le même. L’intégration des diversités homme/femme m’intéresse. Le fait qu’aucune femme ne dirige d’entreprise du CAC40 est une anomalie indiscutable. Il y en aura bientôt une du reste, mais c’est ridicule sur un plan statistique. Cela devrait heurter nos consciences.
Je crois que la société de demain va être plus féminine, plus courageuse, plus audacieuse.
Propos recueillis par Mathilde Aubinaud