Comment attirer l'investissement étranger en France ? |
Je livre ci-dessous mon propos sur la nécessité de pousser l'entrepreneuriat en France.
Point de vue de Gérald Karsenti (pages 12 et 13 du
document)
La
France a inspiré la liberté, mais pas la liberté d’entreprendre
“Nous
ne sommes plus dans le temps de la réflexion et du diagnostic, mais dans le
temps de l’action et de la transformation.”
Patrie
de la liberté et de l’égalité et mère des grandes révolutions à l’origine de
notre monde moderne, la France dérange autant qu’elle fascine, si bien
qu’aujourd’hui, les observateurs internationaux s’interrogent sur ses
errements, espèrent qu’elle sorte de son inertie et, dans cette attente, lui
opposent parfois de virulentes critiques à des choix jugés hasardeux. En effet,
la France se cherche et avance à tâtons, oscillant entre l’American dream et le
Mittelstand industriel allemand, tant et si bien qu’elle renvoie une image peu
attractive à l’international. Or, c’est en puisant dans notre propre mythe
fondateur, empreint de valeurs révolutionnaires, que nous pourrons susciter à
nouveau le désir de France. Seulement voilà : si la passion de la liberté est
gravée dans le tempérament national, l’obsession française de l’égalité nuit
gravement à la liberté d’entreprendre, distillant un sentiment collectif
d’injustice face à la réussite individuelle, là où la liberté d’entreprendre et
le succès individuels se fondent dans le creuset du rêve collectif américain.
Notre
pays dispose pourtant de tous les ferments d’une nouvelle “rêv-olution”
française. Encore faut-il que nous leur offrions une terre fertile pour que
l’innovation puisse y voir le jour et y créer croissance et emplois. Or, si la
France vénère la matière scientifique pure, elle dénigre la recherche appliquée
: “Avoir une idée, oui ! La vendre ? Jamais !”. Or, la grande majorité des
innovations à l’origine de la création d’entreprises ne relèvent pas toujours
de la science mais du commerce, du marketing, du design... Cette dynamique
d’innovation, seule voie possible si nous souhaitons retrouver un rythme de 2%
à 3% de croissance, doit être insufflée par une politique d’attractivité des
talents.
80
000 étudiants quittent la France chaque année, contre 280 000 qui y viennent,
mais parmi lesquels trop peu d’étudiants et de cadres expérimentés originaires
des économies émergentes, davantage attirés par les pays anglo-saxons.
Faciliter les entrées de ces talents à travers l’octroi sélectif de visa est un
moyen de les attirer et de les faire rester en France. Mais il est surtout
urgent d’aligner nos règles fiscales, sociales et juridiques sur celles de nos
voisins européens et outre-Atlantique, en témoigne l’initiative Start-Up
America1, pour attirer les entrepreneurs et les capitaux- risqueurs. Cette
attractivité repose sur des conditions de fiscalité personnelle et
d’entreprise avantageuses, en particulier avec une fiscalité des plus-values de
cession non décourageante, assorties de conditions, à savoir un véritable
projet d’implantation soumis à contrôle et assorti d’une interdiction de
délocaliser.
La
rétention ou l’attraction des talents et des champions de l’innovation repose
sur un écosystème fiscal et réglementaire attractif, certes, mais aussi, et
surtout, sur la capacité de notre pays à faire rêver et à offrir un cadre
de vie agréable. Si nous ne pouvons que saluer le programme French Tech, il
manque encore à la France des métropoles technologiques françaises, identifiées
et identifiables à travers un récit cohérent, afin d’ancrer le rêve français
dans un, ou plusieurs, lieux mythiques. Si aujourd’hui, la plupart des Français
ignorent, par exemple, que Grenoble - où HP est implanté aux côtés de
nombreuses entreprises internationales innovantes - figure à la 5e place du
classement Forbes des villes les plus innovantes au monde, comment un
investisseur étranger pourrait-il le savoir ?
Par
ailleurs, si nous entendons rendre la France compétitive, la gestion de l’Etat
devra reprendre les mêmes fondamentaux que celle de n’importe quelle entreprise
: si beaucoup de tentatives d’incursion du privé dans la formation de
gouvernements ont pu échouer par le passé, sphères publique et privée doivent
travailler de concert, avec la composition de gouvernements mixtes entre hommes
d’Etat et membres de la société civile ayant une expérience du monde des
affaires et de l’international. Nous ne sommes plus dans le temps de la
réflexion et du diagnostic, mais dans le temps de l’action et de la
transformation, qui doivent être confiées à des professionnels dotés d’une
conscience collective, mais désintéressés de tout enjeu politique.
Si
la France veut à nouveau s’autoriser à rêver et faire rêver, elle doit admettre
l’inexorable basculement du centre de gravité de l’économie mondiale vers les
économies émergentes. Au risque de céder à la tentation d’un fatalisme immobile
– tiraillée entre un passé idéalisé et la crainte d’un avenir déclassé – qui la
précipiterait dans un nouveau cycle de déclin. La France de Tocqueville et de
Chateaubriand, qui bouscule le statu quo et se trouve souvent là où personne ne
l’attend, doit produire une synthèse féconde entre son héritage des Lumières et
son avenir dans les nouveaux rapports de force à l’œuvre dans la recomposition
d’un monde multipolaire.