La colère est un sentiment complexe, consécutif à une frustration, à une douleur, à un manque cruel, à une absence durement ressentie ou à une blessure. Du moins sous l'angle de la psychologie. Comme le choléra, elle vient du nom grec kholê, qui signifie la bile ! Cette association est amusante, surprenante, et pas dénuée d'intérêt. On ressent bien qu'à certains moments, quand on laisse échapper ses humeurs, on perd le contrôle de soi, un peu comme si nous étions rongés par un mal diffus, un choléra justement, qui viendrait à disparaitre, une fois la tension atténuée.
Pour comprendre les tenants et les aboutissants de la colère, il faut lire Camus, Spinoza et en prenant quelques distances, Aristote et Sénèque. Ce dernier, stoïcien, explique bien dans son traité sur ce thème les mécanismes de la passion de la colère.
Le mot est lâché. La colère est une passion. Ou une forme de passion. Une expression de sentiments intimes qui ne peuvent plus être maîtrisés et qui sont lâchés d'un coup, comme s'il fallait qu'ils sortent, qu'ils soient exprimés, pour mieux aller alors, comme s'il s'agissait d'être exorcisé. Ce qui n'est pas garantie du reste, car bien souvent, après une colère, on ne va pas forcément mieux ! On peut s'en vouloir furieusement, surtout si elle était injuste et non maîtrisée. Lorsque cette dernière est aveugle et dévastatrice, c'est à dire gratuite et sans volonté de critique positive, elle peut exprimer une forme de fureur qui ne débouche généralement que sur des sentiments négatifs, la peur ou le rejet par exemple. Ce qui n'est guère propice au progrès.
La colère est-elle alors souhaitable en entreprise ?
La réponse ne peut être tranchée aussi clairement. La colère rentre dans le champs des émotions et nous avons déjà pu dire que maîtriser ses émotions était une qualité forte et déterminante du leader moderne. En réalité, si l'intelligence analytique, le fameux QI, reste un atout majeur, seule, elle ne peut faire la différence. Il faut lui associer d'autres formes, dont l'intelligence émotionnelle. Or, l'intelligence émotionnelle, mesurée cette fois par le QE, le quotient émotionnel, regroupe la connaissance de soi, la maîtrise de soi et l'autonomie, la gestion de la motivation, l'empathie et les compétences sociales ("social skills"). Nous comprenons aisément que la colère constitue une forme d'absence de maîtrise de soi, et donc potentiellement une défaillance d'un des éléments constituants de l'intelligence émotionnelle. Pour autant, la colère exprimée, avec une volonté de construire, une volonté d'avancer, porte en elle de nombreuses vertus. Vous exprimez par cette humeur courroucée votre vision des choses, vos idées, et bien souvent vos valeurs, qui viennent se placer au dessus de tout.
Nous sortons de nos gonds en général quand on vient empiéter sur quelque chose qui vous tient à coeur.
Celui qui perd le contrôle de lui-même en permanence n'est pas crédible. On dira de lui qu'il est soupe au lait, qu'il est incontrôlable, pas maîtrisable, dangereux, et que cela cache un manque de confiance ou des incertitudes. Il est vrai que ceux qui meuglent en permanence se servent bien souvent de leurs aboiements comme un paravent pour masquer leurs défaillances.
Inversement, extérioriser ses sentiments, ses idées et surtout ses convictions les plus sincères, les plus profondes, même sous la forme d'une colère, peut être très bénéfique. Elle vous permet de marquer vos limites, vos lignes de démarcation, ce qui compte pour vous et ce qui compte moins, elle vous permet de ne pas laisser la nonchalance et les attitudes passives et négatives s'installer confortablement autour de vous. La colère permet bien souvent de remettre les pendules à l'heure, de rappeler qu'au fond vous n'allez pas transiger sur vos valeurs essentielles, celles de l'entreprise qui plus est, que vous n'allez pas laisser s'installer les dérives, que vous allez au contraire les prendre à la gorge et les tacler.
Rares sont les patrons et dirigeants qui n'ont pas exprimé leur colère en certaines occasions. Ces épisodes, dès lors qu'ils servent l'entreprise et sa bonne marche, dès lors qu'ils ne viennent pas humilier ou atteindre quelqu'un dans sa chair, ce qui serait alors désastreux (on peut être en colère tout en restant respectueux des individus), dès lors qu'il n'y a aucune violence caractérisée, dès lors qu'ils restent exceptionnels, ont des avantages. Cette expression a entre autre le mérite de nous rappeler que nous restons des hommes et des femmes, chargés d'émotions et que nous agissons souvent avec passion, par passion ou tout en passion. Plutôt rassurant !