Mon post du jour vise à réfléchir à la France d'aujourd'hui. Ou plutôt de livrer quelques réflexions personnelles issues de mes discussions professionnelles ou privées. Egalement de ce que j'observe ci et là.
D'abord, il faut admettre que la crise commence à se faire sentir. J'ai le privilège d'appartenir à quelques cercles de réflexion qui réunissent des leaders et des dirigeants de tout secteur, et je dois constater que partout le discours est le même : le marché se tend et devient plus difficile. Jamais le chômage n'avait atteint de tels seuils, nous avons passé la barre des 10% et des 3 millions d'actifs sans travail. Difficile d'imaginer que l'on puisse casser cette course en avant. Si nous passons la barre des 3,5 millions, tout deviendra plus compliqué.
A cela se rajoute un climat politique et social tendu. Les entrepreneurs sentent l'étau se refermer sur eux. D'où les mouvements qui se multiplient. De nombreux amis autour de moi, qui sont plein d'idées, des créatifs à l'état pur, songent à partir. Sérieusement, je veux dire. Pas juste des mots en l'air. Ils ont pris des contacts et envisagent de délocaliser leur entreprise, ou de se lancer mais pas en France. Il faut dire que les prévisions actuelles ne sont pas engageantes. Problème, ce sont des emplois qui filent, du leadership qui s'évapore, des bénéfices qui ne se feront pas sur notre terre.
Beaucoup de gens autour de moi sont frustrés de voir les questions relatives au mariage homosexuel (qui cache un problème plus important, celui de la filiation) ou de l'acquisition de la nationalité française au coeur des débats actuels alors qu'ils sont convaincus que l'urgence est ailleurs. Je suis par nature quelqu'un d'ouvert, persuadé que le monde avance et qu'il ne faut jamais résister aux mouvements de fond. Mais il y a un temps pour tout, nous le savons bien. Il en est ainsi depuis la nuit des temps. Ce sont des débats importants, qui me tiennent à coeur, mais n'ont-ils pas raison en affirmant qu'ils n'arrivent pas au bon moment ? Je n'ai pas la réponse mais il me semble qu'effectivement d'autres sujets sont plus brulants. Plus déterminants pour l'avenir de notre pays. Les gouvernements doivent établir des priorités comme les dirigeants le font pour leur entreprise. On ne peut pas tout faire en même temps. Ou au final on perd sur tous les fronts. Quand nous aurons 3,5 ou 4 millions de chômeurs, quand nous aurons définitivement perdu notre triple A, quand les investisseurs mettront leurs fonds ailleurs qu'en France, alors il sera trop tard. Il faut se concentrer sur l'économique pour pouvoir alors faire du social et pas l'inverse. Mais économique ne veut pas dire de la spéculation. Il faut établir des fondations solides, reconquérir les leaderships que nous avions autrefois dans certaines industries, comme le textile ou l'horlogerie. Il faut se bouger et vite. La vitesse est une condition du succès. Elle permet d'emballer le moteur et de ne pas se laisser glisser lentement dans une sorte de paralysie gangréneuse.
Il faut en premier lieu relancer l'économie, rendre la France plus compétitive en baissant les charges qui pèsent sur les entreprises, mettre en place une politique pour attirer l'investissement étranger (avec conditions) comme les américains le font, aider les jeunes pousses par un véritable système d'incubation (au niveau national). Il faut différencier les entreprises qui prennent des risques et embauchent de celles qui ne le font pas. Il faut favoriser l'innovation. Il faut faire en sorte que les ingénieurs français ne quittent plus la France pour aller travailler dans les laboratoires américains et chinois, mais qu'ils aient les moyens de rester en France pour conduire leurs recherches. Il faut inciter les jeunes filles à aller vers les filières scientifiques pour que l'on puisse rapidement établir de véritables rééquilibrages hommes-femmes au sein des entreprises.
J'aime la France. Je n'ai jamais imaginé la quitter. J'ai certes passé dans ma vie du temps au Japon, en Russie et plus récemment trois ans aux Etats-Unis, mais il s'agissait d'un parcours de carrière, pas d'un exil financier ! Je vivrais peut-être un jour ailleurs qu'en France, qui peut savoir, mais la finance ne gouvernera jamais ma vie. L'argent est important, mais rien ne vaut que de choisir l'endroit où l'on veut vivre, se lever le matin. Rien ne vaut que de se sentir chez soi. Bien sûr je souffre de voir mon pays s'enfoncer dans une crise sourde et douloureuse, chaque jour un peu plus, de voir se multiplier les sans-abris dans la rue (c'est même incroyable). Je constate de plus en plus que beaucoup de gens vivent des souffrances psychologiques traumatisantes. Je constate que la violence gagne un peu partout, à un niveau qui devient inquiétant. Nous ne pouvons pas balayer tout cela d'un revers de main. Mais il me semble que je pourrais davantage servir les miens et mon pays en restant là à pied d'oeuvre pour résister, construire, aider. Je le fais aussi bien que possible à la tête de l'entreprise que j'ai la chance de diriger. Je le fais en enseignant à HEC Paris le leadership pour transmettre mes idées, pour que les dirigeants de demain aient une démarche plus équilibrée, un management dynamique, performant, mais sans doute plus social. Discours démagogique. Bien sûr, je prends le risque d'en faire sourire certains, mais qu'importe, je suis persuadé que nous sommes à un moment charnière. L'Europe est un vieux continent, plombé par des décennies de combats sociaux, qui ont beaucoup apporté à la qualité de nos vies, mais qui ont aussi rendu nos économies non compétitives face aux nouveaux pays émergents, les BRICS comme on les nomme, Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud. Il faut admettre cela et comprendre que les réformes sont indispensables. Certaines vont être douloureuses. Mais faut-il partir pour autant ? Chacun apporte sa réponse. Pour ma part, je n'ai certainement pas le désir d'être un pigeon, mais pas plus que de fuir ailleurs ... je veux rester et redoubler d'énergie pour que la France reste la France. La France a inspiré le monde pendant des siècles. Nous continuons à représenter quelque chose de fort et nous sommes toujours la cinquième puissance mondiale en PIB !
Je voudrais partager avec vous ce texte de Guillaume Lange qu'il m'a adressé. C'est un éclairage différent et intéressant. Il y a là des réflexions justes, on se rejoint du reste sur certains points, mais pas sur tous.